Les hommes sont comme les plantes, qui ne croissent jamais heureusement, si elles ne sont bien cultivées.
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CONSTRUIRE  LES  SOCIETES AFRICAINES  DU SAVOIR

 

 

         Dans le contexte actuel de mondialisation et de transition vers une société du savoir, les connaissances scientifiques et techniques prennent une importance accrue dans le processus du développement. Leur production et leur utilisation pour et par les Africains ne peuvent encore être assurées de façon satisfaisante par le marché.  Africains, nous devons coopérer, collaborer pour construire ensemble des sociétés nationales du savoir si nous ne voulons pas mourir d’analphabétisme.

         Pour quels enjeux ?

         Au cours de deux dernières décennies, le contexte économique mondial s’est profondément modifié. La mondialisation et la libéralisation ont pris racine dans les pays développés où l’économie s’est de plus en plus tournée vers la production et la consommation des biens « immatériels » et où le savoir prend de l’importance très déterminante. Les effets de la mondialisation et du progrès technique se combinent et se renforcent pour accentuer la division du travail entre les pays développés et les pays pauvres d’Afrique. L’échange international s’élargit et le progrès technique s’approfondit. Il y a une véritable évolution vers une société de connaissance où l’ignorant est marginalisé. Il ne faut pas parler de marginalisation de l’Afrique en l’air et sans conviction.

         Cette évolution vers une société du savoir laisse de côté les pays africains qui se plaisent cultiver l’analphabétisme et à dépendre encore très largement de l’unique exportation des seules matières premières minérales et des ressources agricoles. Nous ne savons pas encore produire un savoir commercialisable, un savoir qui vaille la peine.

         En effet, si les mutations du siècle dernier avaient entraîné une très forte demande en produits de base et en infrastructures lourdes, la société du savoir est beaucoup plus sobre à cet égard, l’abondance semble avoir fait place, au moins temporairement, à la pénurie d’énergie et de matières premières tant redoutée par le Club de Rome à la fin des années 1960. Entre 1980 et 2000, les cours de produits de base ont connu une forte baisse. En termes réels, ils ont été divisés par un facteur de l’ordre de deux tandis que le prix des produits manufacturés a augmenté de 30%.

         Dans le même temps, l’importance d’une élévation générale du niveau de connaissances pour le bon fonctionnement et la croissance de l’économie s’est trouvée confirmée. Dans son rapport 1998-1999 sur « le savoir au service du développement », la Banque mondiale a mis en exergue l’exemple du Ghana et de la Corée du Sud. En 1958, les deux pays avaient sensiblement le même revenu par habitant. Quarante ans plus tard, celui de la Corée du sud est six fois supérieur à celui du Ghana. Pour de nombreux experts, moins de la moitié de l’écart ainsi creusé peut être attribué à l’utilisation des facteurs de production classiques : capital et travail, le reste l’étant  à une meilleure efficacité dans l’acquisition et l’utilisation des connaissances et à l’existence d’un cadre institutionnel favorable.

         Pour nos pays africains, un premier enjeu est d’accéder efficacement aux connaissances disponibles. Il faut d’abord que les Africains discernent les connaissances indispensables et efficaces un vrai développement endogène. En outre, il faut disposer non seulement d’infrastructures de télécommunication performantes mais aussi d’un personnel suffisamment instruit et efficient dans un environnement culturel réceptif. Il faut ensuite savoir tirer profit des informations utiles obtenues, s’assurer de leur appropriation pour la transformation socio-économique et technique. Les savoirs codifiés sont désormais accessibles sur Internet, il faut à la fois s’efforcer de les maîtriser et de contribuer à l’élaboration des nouvelles connaissances. Un effort de formation et de recherche, intense et continu, apparaît ainsi indissociable de toute entreprise visant à accélérer l’appropriation du savoir par les Africains.  Voilà pourquoi, parmi les dix priorités retenues par le NEPAD, figurent l’Education et les nouvelles technologies de l’information et de la communication. L’heure n’est plus à l’apprentissage des sciences de la parole, de l’art du parler, il ne s’agit plus d’apprendre pour le simple plaisir d’apprendre, de meubler l’esprit des savoirs périphériques et inutiles, mais de se doter des savoirs transformateurs, qui développent et aiguisent l’esprit créateur et novateur, l’esprit d’entreprise, le sens de la gestion, etc.

      Education et développement

    Le luxe va rarement sans les sciences et les arts et jamais ils ne vont sans lui, disait Jean-Jacques Rousseau en 1750 dans son Discours sur les sciences et les arts. Plus de deux siècles se sont écoulés, mais cette pensée reste très actuelle. Les Africains doivent s’interroger sérieusement sur la relation entre l’éducation, le savoir et le développement.

         Les premiers modèles de développement sont apparus après la seconde guerre mondiale dans le sillage de la décolonisation. L’objectif visé était alors simplement d’augmenter le revenu par tête. Ils mettaient l’accent sur l’accumulation du capital physique, et le rôle de l’Etat qui devait intervenir pour initier un processus d’industrialisation, en substitution aux importations. Ce modèle est encore dans la tête des Africains.

         Mais ces modèles ayant rapidement montré leurs limites, une nouvelle théorie de la croissance s’est progressivement élaborée. Elle met en avant l’importance de l’accumulation des connaissances et du capital humain et privilégie une croissance endogène. Ki-Zerbo parle du « développement clé en tête ». Le rôle de l’Etat est remis en cause, seul le marché peut fournir le bon système de prix. Libéralisation, dérégularion, privatisation, réduction des déficits publics, ouverture au commerce international sont les maîtres mots des politiques de développement des années 1990. L’élaboration et la mise en œuvre de bonnes politiques débouchent alors sur une réforme des institutions visant à une meilleure gouvernance.

         La situation est moins simple aujourd’hui. Les finalités du développement se sont élargies. L’augmentation du revenu par tête n’est plus le seul objectif. Il faut également prendre en considération l’utilisation des fruits de la croissance économique, son impact sur la réduction de la pauvreté, la lutte contre les inégalités, la protection de l’environnement, le respect des droits de l’homme, etc. La réflexion sur les moteurs de la croissance s’est également enrichie.  Plutôt que d’isoler tel ou tel facteur, l’accent est mis sur les interactions entre l’accumulation de capital physique, le capital humain, les progrès des connaissances et des techniques, les changements institutionnels et, plus généralement, l’organisation sociale et la culture. On parle du bien-être de tous.

         La relation observée dans les pays du Nord entre le développement économique et social, d’une part, et l’avancement et la mise en pratique des connaissances, d’autre part, l’est également dans des pays moins développés. Outre l’exemple du Ghana et de la Corée du Sud déjà mentionné, la Banque mondiale a mis en lumière trois indicateurs en corrélation étroite avec le taux de croissance économique :

  1. Le niveau d’instruction de la population qui traduit son aptitude à utiliser les connaissances et à en produire de nouvelles. La Banque mondiale établit ainsi une « relation positive significative entre le nombre d’inscrits dans les disciplines scientifiques et techniques en 1970 et la croissance économique du pays » enregistrée par la suite ;  
  1. L’ouverture au commerce internationale et plus particulièrement la part des biens de haute technologie dans l’exportation. En effet, au-delà des bénéfices bien connus, mais parfois contestés, apportés par le commerce international, la part des produits à haute technologie est révélatrice de la capacité à assimiler les savoir-faire techniques. On constate que c’est dans les pays qui ont connu un développement rapide que leurs exportations intègrent des produits de plus en plus sophistiqués (Thaïlande, Chine, Corée du Sud, Mexique, Malaisie, etc.) que la croissance a été la plus forte ;
  2.  L’importance des dépenses consacrées aux technologies de l’information et de communication est à rapprocher de la capacité de la population non seulement à accéder au stock de connaissances mondial mais aussi à les utiliser plus efficacement dans un contexte où les infrastructures matérielles sont encore trop souvent insuffisantes et où les compétences sont faibles et dispersées. Rapportés au nombre d’habitants, on constate une forte corrélation entre le PNB et les dépenses en TIC. Celles-ci augmentent très rapidement dans les pays africains, mais pour un usage dérisoire ou plutôt pour des raisons d’exhibitionnisme. 

Tout laisse encore à penser que le savoir scientifique et technique ne bénéficiera encore que d’une attention moindre dans les pays africains où la foi dans les minerais, les bananes et le cacao est plus forte que la foi dans les sciences et les techniques. Comment inciter à la production et à l’utilisation des connaissances et des technologies en Afrique de manière plus efficiente ? Comment aider les Africains à accéder plus pertinemment au stock de connaissances existant dans le monde ?  Comment aider à éviter la diversion stérile du passé qui entrave le renouveau africain et enferme dans un complexe muséographique ? Comment aider les Africains à faire de l’éducation de qualité leur priorité pour apprendre à compter sur eux-mêmes ? Comment aider les Africains à ne pas se réduire à des consommateurs minables qui ne représentent rien sur le marché mondial ? 

       Des sociétés de savoir en Afrique  ? 

La construction d’une société du savoir en Afrique implique de relever plusieurs défis : 

  1. D’abord la plupart des pays disposent d’une base scientifique et technique très limitée et très vétuste. Avec 19 % de la population mondiale, les pays de l’Organisation de Coopération et de Développement Economique (OCDE) concentrent 91% des brevets délivrés en 2001. Ils comptent pour 85% dans l’investissement mondial en recherche et développement. La Chine, l’Inde, le Brésil et l’Asie orientale réunis pour 11 % et le reste du monde pour 4%.  Les pays à haut revenu publient 32 fois plus d’articles scientifiques par an que les pays à bas revenu. Malgré le développement de l’Internet, les chercheurs africains sont encore mal équipés et mal insérés dans des réseaux scientifiques mondiaux.
  2. En outre, les besoins en formation sont immenses : les taux d’illettrisme sont encore élevés. En Afrique subsaharienne, en 1999, ils atteignaient, chez les adultes, 31% pour les hommes et 47% pour les femmes. L’éducation pour tous demeure encore trop souvent un objectif lointain. Les universités quant à elles doivent faire face à une progression rapide du nombre d’étudiants, une augmentation qui résulte de la pression démographique, de l’accès croissant des femmes aux études supérieures et de l’élasticité de la durée des études. En dépit de ces augmentations, l’écart avec les pays de l’OCDE n’a pas diminué, au contraire, il s’est accru. En 1980, le taux d’inscription dans les universités aux USA était de 56% comparé à une moyenne de 6% dans les pays africains. En 1997, ces chiffres étaient respectivement de 81% et de 8%. Dans les mêmes temps, les universités africaines doivent encore tenter d’améliorer la qualité de l’enseignement et des infrastructures, l’adapter aux nouvelles demandes de l’économie, tout en veillant à garantir un peu de qualité.
  3. La mondialisation de l’économie concerne également le marché du travail et contribue à accroître la mobilité de la main-d’œuvre qualifiée. Certains pays développés parviennent ainsi à attirer et à retenir un temps les cerveaux les plus brillants en leur offrant des conditions d’études alléchantes et un cadre attractif pour la recherche.  Ils recrutent ainsi les diplômés et des professionnels jeunes dont ils n’ont eu à supporter qu’une partie des coûts de formation. Le phénomène tend d’ailleurs à s’accélérer. Les pays africains ne savent ni retenir les meilleurs éléments, ni les attirer ni les rechercher comme s’ils étaient encore au stade embryonnaire de l’organisation préhistorique. La perte n’est cependant pas totale pour les pays africains, pour peu qu’ils sachent construire des stratégies, comme dans les pays du Maghreb, pour mobiliser leurs diasporas afin de renforcer les systèmes nationaux de recherche et de formation.
  4. L’utilisation des nouvelles technologies est trop limitée. En Afrique subsaharienne, le revenu moyen par habitant s’élevait à moins de 490 dollars en 2000 contre 27 mille dans les pays riches, alors que le coût d’un ordinateur personnel est de 1400 dollars. La recherche est rarement une priorité nationale, les cybercafés sont fréquentés pour la messagerie ! Les laboratoires contiennent encore des vieux matériels des années 1960.
  5. L’environnement politique et juridique demeure encore trop souvent incertain. Malgré une attention accrue portée aux questions de gouvernance et de droits de l’homme, la situation politique de nombreux pays d’Afrique reste très précaire. Les conflits armés, l’insécurité dans les villes n’encouragent pas le réinvestissement sur place de l’épargne et sont évidemment nuisibles au développement des activités de recherche et de développement. Ils contribuent aussi à la fuite des cerveaux.
  6. L’adoption des nouvelles technologies de l’information et de communication peut se révéler particulièrement intéressante pour les pays africains :
  7. L’investissement dans les NTIC peut réduire les coûts, favoriser une bonne coopération entre chercheurs éloignés, un meilleur traitement des informations, etc. Sans prétendre à une panacée, il est possible de discerner les grandes lignes d’une bonne politique de l’éducation et de recherche :
  8. Former et entretenir un capital humain de haut niveau scientifique et technique,
  9. Rénover les systèmes de recherche au niveau national et continental en renforçant les relations universités – recherche et universités - entreprises,
  10. Susciter une demande de connaissance par la société au niveau microéconomique,
  11. Exploiter au mieux le potentiel des NTIC. 

Mais étant donné la faiblesse des moyens et l’ampleur des écarts à combler, l’Afrique trouvera difficilement, sans aide extérieure, les ressources humaines et matérielles nécessaires à la définition et la mise en œuvre d’une politique forte en faveur de l’éducation, de la recherche de haut niveau et de l’innovation.  Par ailleurs, les timides politiques nationales ne peuvent suffire à compenser d’éventuelles insuffisances du marché à l’échelle planétaire.  Au pays des aveugles, qui peut éclairer qui ?  

Progrès scientifique et réduction de la pauvreté ?     

         Nous avons souligné le rôle majeur de la production, de l’assimilation et de la diffusion des connaissances scientifiques et techniques dans le processus de développement et nous avons pu montrer qu’une croissance économique soutenue est l’une des conditions essentielles mais non suffisantes de la réduction de la pauvreté. Les populations les moins favorisées peuvent également bénéficier directement des avancées de la science. La « révolution verte » qui a permis un accroissement considérable des rendements agricoles et les progrès accomplis dans la lutte contre certaines maladies (variole, polio, rougeole, etc.) en témoignent. L’amélioration de la nutrition et les progrès de la médecine ont ainsi contribué pour plus de 50% à l’accroissement de l’espérance de vie dans les pays en développement entre 1950 et 1999. Plus généralement, l’accès à l’eau potable, à l’énergie, à l’éducation, à un environnement sain contribue à la réduction de la pauvreté.  Il est clair que beaucoup reste encore à faire pour mobiliser le stock de connaissances existantes en vue de résoudre les multiples problèmes que doivent affronter les populations d’Afrique. Mais de grands défis demeurent, la faim, la sida, l’ignorance, le chômage des jeunes, etc.

         Si donc, l’avancement des connaissances contribue à la réduction de la pauvreté, cela signifie-t-il nécessairement que leur production en Afrique et par les Africains doit être encouragée ?  La consommation et l’utilisation des connaissances et des technologies développées ailleurs ne peuvent-elles suffire ? Plusieurs arguments militent contre un recours trop exclusif aux « transferts des technologies ». En effet, pour que ceux-ci soient efficaces, il faut qu’existe sur place un minimum d’infrastructures et des compétences susceptibles d’adapter ces technologies aux conditions locales. Par ailleurs, l’essentiel de la recherche et du développement étant effectué dans les pays développés, il ne faut pas s’étonner si celle-ci est orientée en priorité vers les besoins de ces pays.  Alors que des sommes importantes sont consacrées aux recherches sur les cosmétiques, la pneumonie et les maladies hybrides, qui comptent pour 15% des pathologies mondiales, ne bénéficient que de O.2% des dépenses mondiales de recherches et de développement médicales. Des vaccins contre le paludisme, aux ordinateurs à bas prix, en passant par l’obtention de variétés végétales adaptées aux conditions sahéliennes, la liste est longue des recherches à entreprendre pour mieux répondre aux besoins des pays africains frappés par divers fléaux . Il est naturel donc de penser que ce sont surtout les chercheurs africains qui doivent avoir la conscience claire et nette de l’importance relative des problèmes qui requièrent leurs compétences et des conditions pratiques dans lesquelles les solutions trouvées pourront être mises en œuvre.  Mais si les Africains rêvent et s’entassent à étudier anglais, littérature, anthropologie, linguistique, égyptologie, métaphysique et philosophie bantu, le soleil s’obscurcira davantage sur l’Afrique. Si les Africains continuent à venir en Europe répertorier ce que l’Occident à voler en Afrique sans jamais apprendre à ramener le savoir transformateur occidental en Afrique, on perd son temps à cultiver le sous-développement mental. 

         Pour les connaissances scientifiques et techniques

        La production des vraies connaissances scientifiques et techniques comme bien public nécessite des investissements. Les gouvernements, mais aussi les Eglises devraient se mobiliser à trouver des financements. Que les frères musulmans, que les supérieurs majeurs, que les évêques, les entrepreneurs et les gouvernements se remuent à trouver des fonds pour financer la production et l’utilisation des connaissances scientifiques et technologiques qui permettront d’améliorer les conditions de vie et réduiront la pauvreté et les défis que connaît l’Afrique. Un pauvre n’a jamais assez de dignité à faire valoir.

         Il faut s’engager à corriger les multiples défaillances des différents acteurs en sachant que nos gouvernements ne peuvent se permettre aussi facilement d’augmenter les budgets alloués à l’éducation et à la recherche, étant donné les limites des ressources, sinon on ne parlerait plus des pays pauvres ou à faible revenu.

         Conscients que les riches occidentaux ne nous aideront jamais à résoudre tous nos problèmes, à mener des recherches coûteuses pour nos maladies, à combattre la faim, à améliorer l’habitat, à construire solidement des routes, des villes, des villages, à équiper nos hôpitaux, nos écoles, nos centres de recherche, etc. il est intelligent et responsable de nous mobiliser à apporter des solutions scientifiques et techniques à nos problèmes. Ce ne sont pas ni les prêches, ni des mémorandums, ni quelques brochures spiritualistes, ni quelques biscuits ou vêtements usagés ou quelques médicaments qui aideront à éradiquer les gros problèmes africains. La conscience des grands défis devrait nous inciter à chercher à créer des structures et des institutions capables d’aider à résoudre radicalement nos problèmes. Les autres ne nous prendront au sérieux qu’à partir de notre capacité à apporter des solutions efficaces, à partir de notre sens des défis. Le NEPAD est l’expression de la prise de conscience des politiques africains, il manque encore une telle prise de conscience renouvelée dans les confessions religieuses. Le rapport 2001 du PNUD souligne que c’est l’action publique forte et non pas la charité qui est au service du développement humain. Il n’est pas normal qu’à chaque défi africain, réfugié, famine, pandémie, on recherche l’aide extérieure. Personne ne doit croire que son rôle consiste à utiliser ses potentialités de manière périphérique et dérisoire. La main tendue n’est pas un indice de grandeur ! Les défis actuels n’autorisent plus aux Africains de se contenter de gérer le vieil héritage colonial, mais de faire preuve d’imagination et de créativité supérieures.

         Dans la mesure où nous dépendons des autres, il est à craindre que les autres décident du nombre d’enfants par couple, du plafond de la population par pays, du type de clown qu’il faut, du type de nourriture, de notre espérance de vie, du type d’économie et du type d’entrepreneurs devant œuvrer dans nos pays. Il est dangereux que par Internet, on ne nous donne accès qu’à des connaissances théoriques limitées et inutiles qui font tourner en rond. Mais surtout, il est à craindre qu’on inonde nos marchés et nos pharmacies des produits dangereux pour la survie de la race. Nos pays ne doivent pas rester éternellement otages des programmes de recherche de grandes firmes capitalistes qui dominent les agences de l’ONU. Il est inacceptable de prétendre évangéliser des gens qui mangent à peine une fois par semaine, qui logent moins bien que les animaux, qui ne savent ni lire ni écrire, qui souffrent pour survivre et qui n’ont même plus la dignité humaine.  

         En conclusion 

         Les Eglises auraient pu se former dans les domaines stratégiques pour aider les décideurs africains à définir des politiques dans l’identification de « bonnes pratiques » et contribuer à la mise en place des systèmes nationaux cohérents de recherche et d’innovation dans lesquels chercheurs, pouvoirs publics, secteur privé et société civile interagiraient efficacement. Ceci passe naturellement par l’élaboration des documents stratégiques en vue de la modernisation des structures, la rénovation des cursus, la diffusion de bonnes pratiques en matière de renforcement des synergies entre les acteurs dans l’amélioration des rapports entre les sciences et la société.

         La réflexion reste sans doute à approfondir sur le rôle stratégique de l’éducation, de la recherche et de l’innovation dans les processus de développement dans le contexte actuel de mondialisation et de transition vers une société de savoir.  Aucun Africain ne doit se contenter de jouer le clown.  Pour Ki-Zerbo, les vrais intellectuels ne doivent pas rester contemplatifs et narcissiques se contentant de chanter les malheurs de l’Afrique en les folklorisant du haut du piédestal légué par le colonisateur d’hier. Tous nos savoirs doivent être un moyen pour bien participer, aux côtés des peuples africains, à la lutte pour le développement. Les Eglises sont pleines des spécialistes des patriarches, des prophètes, des empereurs antiques, des pharaons, des philosophes grecs, des Mayas, des Inkas, alors que le passé n’est qu’une référence qui incite à savoir d’où l’on vient pour savoir où l’on va et comment y aller. Face à la lutte pour le développement, personne ne devrait s’enfermer dans le passé ou dans un égoïsme logique. Aucun non Africain ne fera jamais le bonheur des Africains. Plutôt que de nous contenter à mimer ce qui se passe ailleurs, il est temps de nous engager, de nous mobiliser pour un développement clé en tête, un développement endogène au moyen de la recherche, de la formation de haut niveau et l’action pratique et créatrice. Il est temps de renoncer au mimétisme stérile, au passéisme et à l’imitation infantile. Même si être homme, c’est être fier de la victoire des autres, disait saint Exupéry, il reste que habiter la case d’autrui, c’est ressembler au rat de maison ! On ne développe pas, mais on se développe, disait Ki-Zerbo, un grand historien qui a refusé de se laisser enfermer dans le passé pour une philosophie de lutte et de vie par la promotion de l’éducation.
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REFERENCES

- KI-ZERBO, J., Le développement clés en tête, Revue trimestrielle d’éducation comparée   Paris, Bureau international d’éducation, vol. XXIX, n°4, 1999, pp. 699-711.

- KI-ZERBO, J., Eduquer ou périr, Paris, UNESCO-UNICEF, 1990.

- KI-ZERBO, J., La natte des autres (pour un développement endogène en Afrique), Paris,  CODESRIA/Karthala, 1992.

- BANQUE MONDIALE, Le savoir au service du développement, Rapport sur le             développement dans le monde 1998-1999, Washington.
- BANQUE MONDIALE, Le développement au seuil du 21è siècle, Rapport sur le                   développement dans le monde 1999-2000, Washington.-
- PNUD, Mettre les technologies au service du développement humain, Rapport mondial sur le développement humain 2001, New York, Programme des Nations unies pour le développement.

                                             Max Kupelesa


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