Les hommes sont comme les plantes, qui ne croissent jamais heureusement, si elles ne sont bien cultivées.
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APPRENTISSAGE ET MULTIMEDIA

        Apprend-on mieux avec l’ordinateur qu’avec un livre ou un syllabus ?  Quels sont les effets des technologies de l’information et de la communication sur la cognition, l’apprentissage et l’enseignement ? Ces technologies modifient-elles la nature, les contenus et les modalités des apprentissages des élèves et étudiants ?  Que peut-on affirmer aujourd’hui sur un thème où les affirmations a priori prédominent trop souvent ?  

        La question est très actuelle et très polémique.  En effet, les partisans inconditionnels de l’introduction de la modernité à l’école tiennent un discours volontariste et très prospectif sur les bienfaits d’une école « branchée,ouverte sur le monde »et dans laquelle la présence d’ordinateurs et de réseaux électroniques mettrait à la disposition des enseignants et des élèves l’ensemble des savoirs du monde. Par contre, les défenseurs d’une formation humaniste traditionnelle pensent que les machines ne peuvent que distraire de l’essentiel, la formation de la pensée, et ne voient dans la présence d’ordinateurs à l’école qu’une imposture pédagogique dissimulant les enjeux économiques.

        D’un côté comme de l’autre, les arguments avancés ne sont pas sans fondement et les enjeux sociétaux, économiques et culturels ne doivent pas être pris à la légère. Mais ces positions laissent de côté, trop souvent, l’analyse de ce qui se produit réellement lorsqu’on introduit des systèmes et des outils informatiques dans les situations d’apprentissage scolaire. De nombreux travaux sur les technologies de l’information et de la communication s’orientent vers l’analyse des potentialités et des virtualités de l’outil plutôt que vers l’évaluation de ses effets dans des situations concrètes d’utilisation.

        C’est ainsi que les modes se succèdent comme des vagues d’innovations, le plus souvent sans lendemain, comme l’a montré Cuban (1986) dans son étude des utilisations des technologies dans les classes depuis 1920.  A l’introduction enthousiaste succède une phase de généralisation plus difficile, bientôt suivie d’une nouvelle vague technologique sur laquelle se reportent les espoirs courants (Baron, 1997).  Les déclarations enthousiastes sur les changements que peuvent apporter à l’école les nouvelles technologies ne sont pas le reflet des pratiques pédagogiques dominantes : la réalité de l’école d’aujourd’hui est proche de celle de l’école du XIX è siècle, constatait Papert en 1994.

        Les enseignants considèrent que l’enseignement n’est pas affaire de machines, mais d’hommes, et que la relation pédagogique est à réinventer à chaque instant, avec chaque élève. Pourtant, les machines peuvent être des assistants utiles à l’enseignant dans sa tâche. Mais pour quels usages, dans quels contextes, dans quelles limites et surtout pour quels apports ? L’ignorance est, avec l’illusion technologiste, un des obstacles essentiels au développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication appropriées en milieu scolaire.

         Une synthèse des recherches

         Ce travail vise à présenter l’état d’une question : les effets des technologies de l’information et de la communication sur la cognition et sur l’apprentissage en milieu scolaire. Il s’appuie sur un grand nombre de recherches empiriques qui décrivent et évaluent des situations d’apprentissages avec « artefact ».  La plupart des recherches ont été menées en Amérique du nord du fait que les systèmes et les outils multimédias y sont utilisés dans les établissements scolaires davantage et depuis plus longtemps qu’en Europe, mais surtout parce que c’est là qu’ont été et que sont menées les études les plus nombreuses sur les effets de cette introduction.  L’avantage pour nous peut être de profiter de ces études afin de ne pas fonctionner intuitivement ou naïvement.

        Les méthodologies utilisées dans les recherches recensées sont multiples, et il est utile de les présenter dans la mesure où elles impliquent des situations et des objectifs différents qu’elles permettent d’expliciter.

        Elles peuvent se classer schématiquement en deux grandes catégories, caractérisées par deux types d’approches. On y retrouve la dichotomie souvent relevée à propos des recherches en didactique. Ainsi les auteurs de la « banque des données » en didactique et acquisition du français (Gagné, Sprenger-Charolles, Lazure et Ropé, 1989) distinguent les recherches qui visent plutôt à saisir le réel dans sa complexité comme les études de cas en psychologie et en ethnométhodologie de celles qui utilisent une démarche hypothético-déductive, le plus souvent expérimentale. Les critiques, de part et d’autre, sont fortes. Les expérimentalistes reprochent aux ethnométhodologues leur manque de rigueur et l’utilisation d’une démarche plus intuitive que réellement scientifique, alors que pour les ethnométhodologues, c’est a contrario, la rigueur de la démarche expérimentale, en particulier le contrôle strict de la situation, qui pose problème ; le « toutes choses égales par ailleurs » des expérimentalistes ne permettrait pas de rendre compte du « réel ».

        S’interrogeant sur ce qui permet de définir un texte comme un texte de recherche, ces auteurs considèrent qu’une recherche se caractérise d’abord par son objectif – ils en définissent quatre : décrire, théoriser, expliquer ou transformer – et ensuite par sa méthodologie – elle-même divisée en démarche et en mode d’investigation. Mais selon ces mêmes auteurs, vouloir évaluer en plus la pertinence de l’objectif poursuivi et la validité de la méthodologie utilisée constituent une entreprise irréaliste, car trop exigeant et trop subjective à la fois.

        Les choses se compliquent encore lorsqu’on étudie le domaine des technologies éducatives où les références disciplinaires sont encore plus nombreuses. Aux disciplines enseignées, à la psychologie cognitive, à la sémantique, à la psychologie sociale, à la sociologie, à la théorie de la communication et aux aspects proprement didactiques viennent s’ajouter l’informatique, l’intelligence artificielle, l’érgonomie, les sciences de l’ingénieur.

        A partir d’une analyse récente des travaux réalisés dans le cadre des effets de l’apprentissage collaboratif, Dillenbourg (1999) a fait plusieurs constats qui expliquent la multiplicité des méthodologies utilisées. Les situations analysées peuvent impliquer deux pairs, un petit groupe d’élèves (3, 4 ou 6 ou 10) ou une classe entière. Ces élèves sont engagés dans une session qui peut durer de vingt minutes à plusieurs jours, dans une activité qui consiste à suivre un cours, à étudier le matériel-support de cours, à apprendre à résoudre des problèmes… en communiquant oralement ou par le biais d’une machine, de façon synchronisée ou non, fréquemment ou non.

        Afin d’offrir au lecteur une idée des méthodes mises en œuvre par les chercheurs du domaine, nous présentons quelques exemples des méthodologies les plus fréquentes dans les recherches dépouillées.

         Les expérimentations

         On trouve bien évidemment une quantité importante de recherches de laboratoire dans lesquelles les auteurs tentent d’établir des liens de causalité entre phénomènes locaux.  La structure est la suivante : deux groupes ou plus sont constitués : un groupe contrôle et un ou plusieurs groupes expérimentaux. L’expérimentation s’effectue en quatre temps :

  1. le premier temps comporte un pré-test qui permet d’évaluer le niveau initial des sujets dans le domaine des connaissances étudié,
  2. le second temps est consacré à une période de familiarisation avec le système informatique,
  3. le troisième temps porte sur le travail proprement dit avec le multimédia
  4. le quatrième temps est consacré au post-test Sa mesure indique l’effet de l’apprentissage sur le niveau de connaissance initial des sujets.

En général, ces manipulations très contrôlées mettent en jeu une, deux, voire trois variables indépendantes. En effet, le coût (temps, moyens techniques, financiers et humains) nécessaire à la mise en place d’un protocole expérimental dans le domaine des TIC entraîne le plus souvent l’utilisation d’un important panel d’indicateurs.

On peut rattacher aux recherches expérimentales les « méta-analyses » qui passent en revue  des recherches empiriques déjà publiées et les soumettent à une grille commune de lecture, constituée par des variables repérables dans l’ensemble des recherches primaires analysées. Dans une étude de Bangert-Drowns (1993) constituée d’un corpus de trente-deux recherches portant sur l’utilisation du traitement de texte et comparant deux groupes, l’un utilisant un traitement de texte, l’autre écrivant sans traitement de texte, cinq variables sont examinées : le niveau de classe, le niveau de compétence à écrire, le type d’ordinateur (isolé ou en réseau), la localisation des ordinateurs (en classe ou en salle spécialisée), l’organisation du travail devant l’ordinateur (travail individuel ou en petit groupe).

Si les recherches expérimentales sont nombreuses, le matériel utilisé est, non seulement, rarement évalué pédagogiquement, mais n’est pas toujours choisi en fonction des préoccupations des enseignants, et surtout les questions des chercheurs ne correspondent pas toujours aux préoccupations des enseignants.  C’est une des raisons qui expliquent l’intérêt croissant pour les méthodologies qualitatives (Koschmann, 1996).

 L’observation qualitative

         Celle-ci s’attache à fournir des observations nourries de descriptions détaillées des phénomènes, dans l’environnement de la classe. Ces méthodologies sont particulièrement pertinentes quand il s’agit de prendre en compte le rôle des interactions et de la communication dans l’apprentissage, par exemple dans un domaine comme l’apprentissage des langues. Elles sont aussi utilisées pour comprendre les stratégies de navigation ou de récupération d’erreurs des élèves.

        Dans certains cas, elles sont considérées comme exploratoires par les auteurs, comme dans la recherche de Wallace, Kupperman, Krajcik et Soloway (2000) sur la recherche d’informatio scientifique en ligne. Foucher (1998), observant des apprenants utilisant un logiciel de langue, cherche à déterminer leurs stratégies face à une tâche de compréhension en corrélant leurs verbalisations et les actions entreprises sur le didacticiel.

        Ces méthodologies se heurtent au décalage possible entre ce que l’apprenant a fait et ce qu’il pense avoir fait, par ailleurs, on peut supposer que la verbalisation concomitente modifie l’activité cognitive. C’est pourquoi elle souvent est combinée avec d’autres types d’observation, avec un programme de traces qui enregistre toutes les actions entreprises par l’utilisateur.

         Les enquêtes

         Les enquêtes permettent d’analyser les représentations que les apprenants et les enseignants construisent ou activent au cours de leurs activités, et donc d’adapter les outils et les systèmes en fonction de la demande et des besoins.  On utilise par exemple les entretiens ou les échelles d’attitude, orientés sur le système technique, sur l’objet à connaître, sur autrui ou sur soi, avant, pendant et/ou après l’apprentissage.

        Les entretiens sont utilisés avec un échantillon représentatif d’apprenants soit avec des enseignants. La taille de l’échantillon peut être très réduite ou très grande. Le recours à la méthodologie de l’enquête est tout à fait classique.  Les auteurs construisent une série de questions dont les réponses sont appréciées à l’aide d’une échelle.

        Mais l’utilisation des techniques d’interrogation directe pose des problèmes majeurs : rien ne permet d’affirmer que les individus ont un accès direct et non ambigu à leurs représentations initiales et aux processus. Pour un combler cette lacune, les chercheurs utilisent souvent des mesures complémentaires et alternatives. Par exemple, la motivation est non seulement évaluée à partir des réponses à des questionnaires plus ou moins directs, mais aussi par l’observation des comportements et des états mentaux qu’elle provoque.

         L’analyse des productions

         Dans certains domaines (apprentissage des langues, production écrite), l’analyse de corpus de production d’élèves peut se révéler utile. L’analyse des discours dans la classe de langue a une longue tradition. Dans le domaine de l’apprentissage des langues, certains se sont penchés sur les interactions entre pairs devant un même écran (Little, 1996), d’autres sur les interactions par ordinateur interposé, celles-ci pouvant être d’ordre simplement communicationnel (Warschauer, 1996 et 1998) ou plus mélatlinguistique, en temps réel ou en temps différé.

        Chapelle (1998) fournit une méthodologie qui est une évaluation des tâches à travers une observation très détaillée des activités langagières des élèves lors des tâches. Elle propose sept points précis à analyser, formulés sous forme de questions : les apprenants ont-ils prêtré attention aux caractéristiques linguistiques mises en valeur dans l’input ? Ont-ils demandé à voir l’input modifié ? Ont-ils produit un output compréhensible ? Se sont-ils rendu compte des erreurs dans leur production ?  Il s’agit, selon cet auteur, de croiser les critères de la psycholinguistique acquisitionniste avec les caractéristiques des produits multimédias.

        Nous pouvons conclure avec Ross et Morrison (1999) que c’est le croisement des méthodologies et de leur utilisation conjointe sur un même objectif qui entraîne les résultats les plus pertinents.

         Familles d’outils et de systèmes

         On parle tantôt des technologies de l’information et de la communication (TIC), tantôt de nouvelles technologies de l’infirmation et de la communication (NTIC), tantôt des technologies de l’information et de la communication dans l’enseignement (TICE).

        Nous utiliserons souvent multimédia, qui désigne aujourd’hui tout produit fondé sur la numérisation des textes, des images et des sons. On pourrait ainsi parler d’ordinateurs et de réseaux à l’école. Récemment est apparue l’expression de « technologie d’apprentissage ». Chacun de ces termes ou de ces expressions met l’accent sur un aspect particulier des technologies, formats d’accès à l’information, supports, enjeux cognitifs, etc.

        La notion d’artefact, plus générale, a l’intérêt de s’appliquer à la fois aux objets techniques et aux systèmes symboliques ; complétée par celle d’instrument, elle met au premier plan l’activité de l’homme qui a créé ces outils, « l’usage par le sujet de l’artefact en tant que moyen qu’il associe à son action (Rabardel, 1995).

        La notion d’environnements interactifs d’apprentissage humain créée par la communauté des informaticiens qui s’intéressent aux interface homme-machine dans le champ de l’éducation et de la formation, est également signe de l’abandon des conceptions technocentrées et met l’accent sur l’activité instrumentée du sujet humain.

        Quels que soient les termes et le point de vue adoptés, il convient sans doute de donner d’abord une vue d’ensemble des produits et des systèmes concernés ici.  Nous partirons de la classification de Taylor (1980) qui distingue « l’ordinateur enseignant » (tutor), « l’outil » (tool) et « l’ordinateur enseigné » (Tutee).

        L’ordinateur enseignant des logiciels (enseignement assisté par ordinateur) propose des entraînements modulaires et progressifs, l’acquisition d’habiletés ou de savoirs ponctuels. Répétiteur inlassable, l’ordinateur permet alors à un élève de travailler individuellement, de répéter des activités élémentaires, de s’exercer, de s‘autocorriger. Certains produits d’enseignement assisté par ordinateur proposent des contenus seuls, d’autres proposent des exercices sur ces contenus, d’autres enfin se contentent de proposer des exercices. Les exemples les plus répandus de ce type de produits sont les logiciels d’accompagnement scolaire, centrés en général sur les contenus déclaratifs des programmes officiels, que le didacticiel permet de réviser.

        L’outil, au contraire, n’est pas porteur en lui-même d’une démarche pédagogique ou d’intentions didactiques précises. L’enseignant détermine les tâches, les consignes, l’organisation de la classe et la planification de l’utilisation des outils – par exemple un traitement de texte ou un logiciel de courrier électronique – comme pour les outils plus traditionnels, l’ardoise, le manuel ou les affiches d’un journal mural. C’est dans cette catégorie que l’on peut classer toute une série de logiciels conçus pour un usage non spécifique aux apprentissages (traitement de texte, générateurs d’hypertextes et de pages HTML, tableurs, courrier électronique, navigateurs internet, forum de discussion…), mais aussi toute une série de systèmes dédiés à l’éducation :

  1. environnements d’écriture présentant des aides en ligne, sous forme de ressources textuelles ou encyclopédiques, de conseils procéduraux ou de règles formalisées concernant la langue ou les textes ;
  2. plates-formes pour le travail coopératif permettant à des classes distantes de dialoguer et de participer à la construction d’une base commune de connaissance…

 L’ordinateur enseigné a eu un grand retentissement dans les années 80, à la suite des travaux de Papert (1981 ; 1994). Ici, le système est sous le contrôle de l’usager. Ce n’est plus le programme informatique qui gère la progression des élèves dans leur apprentissage, mais les élèves eux-mêmes qui programment la machine. Les apprenants sont plongés dans un « micromonde », dont l’exemple le plus connu a été la « tortue Logo ». En observant les effets des instructions qu’ils donnent à la machine, les élèves construisent, au fur et à mesure de leur exploration, des connaissances sur ce micromonde. Ce paradigme a donné lieu à des travaux dans le domaine de l’apprentissage de la géométrie, de la physique, de la technologie (pilotage des robots) ou encore de la grammaire…

Si le passage par un langage de programmation caractérisant cette approche est aujourd’hui largement abandonné, les logiciels de simulation, très utilisés actuellement, s’inscrivent dans la même logique. La construction des connaissances y est liée à la manipulation des objets d’un environnement, à l’observation des effets en retour et à la formalisation réflexive des observations opérées. On peut citer un produit comme Cabri-géomètre, pour l’apprentissage de la géométrie, ou encore pour la physique, les logiciels d’expérimentation assistée par ordinateur). Ceux-ci placent les élèves dans une situation de laboratoire, leur permettant de pratiquer la méthodologie expérimentale et mettent à leur disposition des outils graphiques de visualisation qui les aident à interpréter les résultats de leurs manipulations empiriques. Ces familles de produits, des micromondes à la simulation, se révèlent particulièrement adaptées à l’acquisition des notions, à la résolution de problèmes et plus généralement aux activités complexes d’apprentissage.

La classification de Taylor ne rend pas compte de l’ensemble des produits et des usages. On peut distinguer les tutoriels proprement dits qui prennent en charge l’ensemble de l’acte d’enseignement, les semi-tutoriels (Mangenot, 2001) qui comportent des consignes, des aides et des ressources pour réaliser la tâche, mais ne proposent pas l’analyse des réponses.

On peut ajouter les produits grand public, en ligne ou hors ligne, livres électroniques, cédéroms et sites culturels ou scientifiques, sites proposant des textes littéraires numérisés… Ces produits, aux contenus riches et plus diversifiés que ceux des didacticiels sont de plus en plus utilisés comme ressources dans de nombreuses disciplines.

Cette première classification en cinq types de produits et de systèmes est fondée sur le degré de prise en charge par le système et donc sur les rôles respectifs de l’artefact, des apprenants et des enseignants.

    Modèles d’apprentissage et spécificités des domaines

         La distinction précédente correspond aussi à des théories distinctes de l’apprentissage qui constituent les soubassements conceptuels des systèmes. L’histoire de la psychologie de l’apprentissage depuis un trentaine d’années est indissociablement liée aux tendances qui ont successivement dominé le paysage des technologies de l’apprentissage.

        Notre objectif, en apportant un éclairages précis sur les effets réels de technologies de l’information et de la communication sur les apprentissages et sur l’enseignement, est de montrer que l’apport des TIC n’est pas négligeable, lorsque l’enseignant les intègre bien dans des situations pédagogiques pertinentes.

        Modifier la vision de nombreux enseignants sur les technologies de l’information et de la communication, enrichir leur « culture technologique » est une des retombées souhaitables de ce texte. Car, même aux USA, l’ordinateur est encore souvent utilisé pour entraîner à des compétences de bas niveau, et c’est encore plus vrai avec les élèves de nos milieux trop défavorisés.

        Connaître les effets des outils et des systèmes multimédias est une étape indispensable qui ne signifie pas que les résultats expérimentaux puissent être reproductibles et généralisables. Mais l’analyse des travaux sur les effets des systèmes et outils multimédias sur l’apprentissage et l’enseignement permet de comprendre l’importance des enjeux nouveaux pour l’école et elle permet de réfléchir à la définition des contenus de formation indispensables à l’adaptation du métier d’enseignant aux révolutions technologiques en cours.

        Ce travail ne constitue cependant qu’une étape. L’évolution rapide des technologies et les nouveaux paradigmes d’apprentissage en émergence qu’elles provoquent imposent un développement des recherches psychologiques et didactiques dans le domaine de l’enseignement et de la communication.

          Théories de l’apprentissage et multimédia

         De nombreuses études américaines nous mettent en garde sur l’inefficacité des systèmes multimédias.

Selon Clark (1994), les medias en général ne sont que de simples véhicules qui présentent des informations, mais n’aident pas le sujet à construire les connaissances.

Dans une revue de question, Kozma (1994) n’a relevé aucune recherche mettant clairement en évidence l’effet positif des systèmes multimédias sur l’amélioration de l’apprentissage.

Dès 1986, Clark et Salomon pensaient même qu’il ne fallait plus perdre de temps sur ce sujet avant qu’une nouvelle théorie de l’apprentissage multimédia ne soit développée, et ils jugeaient indispensable d’entreprendre des recherches afin de mettre clairement en évidence les effets des fonctionnalités multimédias sur l’apprentissage.

Contrairement à nos pays pauvres, les travaux conduits sur cette question au USA constituent aujourd’hui un domaine de recherche considérable. Les revues spécialisées se comptent par dizaines. L’exploration de ce champ immense nous a plongé dans la perplexité. Comment peut-on ignorer ces travaux alors que les multimédias se généralisent ?

Il nous donc semblé indispensable de faire le point et de contribuer à l’explicitation des théories de l’apprentissage qui sont souvent implicitement à la base des systèmes et des outils multimédias.

Il est indispensable de savoir les résultats de l’étude des rapports entre théories de l’apprentissage et systèmes d’aide à l’apprentissage. Ces résultats contribuent à apporter quelques éléments de réponse à nos trois questions de base : 

  1. quelle est l’influence des théories de l’apprentissage sur la conception et l’utilisation en classe de ces environnements techniques ?
  2. en quoi ces environnements techniques modifient-ils les modèles théoriques de référence et influencent-ils nos conceptions de l’enseignement ?
  3. quels bénéfices peut-on espérer en tirer pour améliorer l’efficacité de l’apprentissage et de l’enseignement ? 

En effet, quel que soit le domaine de connaissances enseigné, il apparaît difficile de concevoir des scénarios pédagogiques incluant des environnements d’apprentissage sans connaître précisément le fonctionnement cognitif des apprenants dans les activités proposées et les effets de ces environnements sur ces activités. 

Le behaviorisme et l’enseignement  

        Les behavioristes ne s’intéressent qu’aux résultats et non aux processus cognitifs de traitement des informations. L’accent est mis sur l’analyse des comportements observables (Mager, 1975).

        Le travail de l’enseignant behavioriste consiste à analyser les réponses des apprenants en fonction des objectifs à atteindre et à partir ces réponses, à en déduire les habiletés (skills) qui les produisent.

        Dans la lignée de ces « modèles d’enseignement » conçus selon les principes d’une structuration des habiletés à atteindre, en fonction d’une hiérarchisation des objectifs d’apprentissage, des environnements ont été conçus pour favoriser la construction de ces habiletés.

        En effet, les behavioristes s’intéressent au contenu informationnel à transmettre et mettent ainsi entre parenthèses le système cognitif  de l’individu : les processus cognitifs et les structures sur lesquels ils s’opèrent pour traiter les informations nouvelles et construire de nouvelles connaissances. Cette ignorance du système et du fonctionnement cognitif des élèves a souvent provoqué une confusion grave entre la notion d’information et celle de connaissances qui n’a fait que se renforcer avec le développement des technologies de l’information et de la communication.

        D’autres confusions plus graves consistent à assimiler cohésion entre les informations proposées et cohérence entre les connaissances construites. Ainsi le travail de construction des connaissances l’élève est ignoré par les enseignants behavioristes.

        Or ignorer toutes les caractéristiques du fonctionnement de l’élève conduit à une analyse partielle des causes de l’échec scolaire. En effet, les problèmes et les difficultés des enfants n’étant pas traités dans leurs dimensions cognitives, l’enseignant comportementaliste est amené à surestimer les interventions sur les facteurs contextuels de la situation d’apprentissage (soutien scolaire, aide aux devoirs, aide aux familles, etc.), interventions sans doute nécessaires, mais insuffisantes.

        La conception behavioriste, largement dominante dans de nombreuses pratiques enseignantes et dans de nombreux systèmes et outils multimédias ne peut contribuer efficacement au développement cognitif et métacognitif des élèves. Quelques développement récents ont enrichi les modèles en y intégrant en particulier des éléments du paradigme cognitiviste (Gagné, Briggs et Wager, 1992). Mais le style behavioriste continue à proposer des programmes d’enseignement reposant sur les mêmes principes : découpage des savoirs en degrés et en micro-objectifs, renforcement, etc. 

        Théories cognitives, apprentissage et enseignement 

        Le paradigme cognitiviste, et en particulier, les théories du traitement de l’information qui s’inspirent du domaine de l’information et des modèles du fonctionnement de l’ordinateur, s’intéresse au fonctionnement et au contenu de la « boîte noire », le cerveau. Le contenu de cette boîte noire peut être défini par deux éléments clés : les processus cognitifs et les représentations sur lesquels ils opèrent, quelles que soient les activités de l’individu.

        Les modèles qui s’inscrivent dans ce paradigme se caractérisent par le rôle important conféré à la mémoire, à l’organisation des connaissances en mémoire et au rôle de ces connaissances dans le traitement des informations mises ne jeu dans les différentes tâches. C’est à partir de ces éléments clés qu’il a été possible de concevoir des modèles de compréhension des textes, de production écrite, de résolution des problèmes, de construction des connaissances, etc.

        En effet, deux idées fortes sont communes à tous les modèles d’enseignement issus du paradigme cognitiviste : 

  1. Tout d’abord, l’apprentissage est conçu comme un processus d’acquisition des connaissances.
  2. Ensuite, les activités d’enseignement sont des activités d’aide à la construction des connaissances et non pas des activités de transmission des connaissances.

Selon Charron, l’enseignant doit ici moins se préoccuper de transmettre les connaissances, et davantage de les organiser, de les structurer, de mettre en lumière leur cohérence, de travailler à leur intégration (Charron, 1990). 

                {Pour aller plus loin, lire : Précisions sur la Psychologie de l’éducation}  
                                                   Max  Kupelesa
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