Les hommes sont comme les plantes, qui ne croissent jamais heureusement, si elles ne sont bien cultivées.
   
   
LE FUTUR DE L'EDUCATION

------------------------------QU’EST-CE QUE L’EDUCATION ?

------Introduction

       Plusieurs discoureurs sur cette question s’en tiennent plutôt à une analyse purement fonctionnelle et pseudo-opérationnelle de l’éducation. Un véritable questionnement sur le sens de la vie dans une société en continuelle crise fait souvent défaut.

        Parler du sens profond de l’éducation, c’est revenir à l’essentiel de ce que veut dire « vivre dans une société en crise et en contexte de mondialisation ».

        Je me propose donc de parler de l’éducation et d’y réfléchir avec une présence et une intensité critiques à partir de quelques points : la nature du sens de l’éducation avec ses trois axes centraux : la direction, la sensation et la signification ; une conception éducative au sens plein qui ne se réduit jamais à « enseigner, former, instruire », mais qui vise à « éduquer ». Mais qu’est-ce qu’éduquer ? Qu’est-ce que l’éducation ?

        Cela renvoie à la question de « ce par quoi une personne accepte de donner du sens à la vie, et à sa propre vie », de « ce par quoi elle accepte de choisir un sens-direction plutôt qu’un autre et par lequel elle se sent liée à d’autres », de « ce par quoi elle ne veut pas vivre une vie sans signification profonde dans un monde où règne la montée de l’insignifiance », de « ce par quoi elle préfère s’étouffer dans un sac en plastique en ville ou à l’étranger, lorsque le sens de la vie fait défaut ». Une telle question renvoie à une ontologie en acte où se conjuguent et s’articulent « le sens de la profondeur, de la gravité et de la reliance ».

         Le sens de l’éducation

         Le sens de l’éducation relève : 

  1. d’une direction qui est toujours plus une finalité qu’un simple programme,
  2. d’un univers incarné de sensations (corps, affects, émotions, sensibilités)
  3. d’un rapport de significations qui est au-delà des dimensions sémantiques, syntaxiques et pragmatiques de l’interlocution. 

Une éducation du sens de la vie 

        Que serait une éducation qui tenterait de reprendre goût à la vie ? Si nous articulons le savoir, l’enseignant et l’apprenant, le sens va se trouver dans l’interaction de ces trois pôles.

        L’éducation ne veut pas dire « instruction, enseignement, apprentissage ou formation » bien qu’elle les utilise en dernière instance. 

        Eduquer s’origine dans le latin « duco- ducere » qui signifie « conduire  hors de ». Eduquer, c’est tirer hors de l’état d’enfance. Mais une autre origine plus probable, « educare » signifie « nourrir » et s’ouvre sur le « soin des enfants », « la paideia »

       


Se former 

        Former vient du latin « formare » qui signifie au sens fort « donner l’être et la forme », et du sens faible, « organiser, établir ». Former implique une action en profondeur de transformation, en vue de donner une forme à quelque chose qui n’en avait pas ou qu’il fallait organiser. Se former, en apprenant, signifie donc travailler son information pour lui donner une forme qui correspond à un mouvement interne de transformation de soi-même.

        Vu sous cet angle, « former est plus ontologique qu’instruire ou éduquer » : dans la formation, c’est l’être même qui est en jeu, dans sa forme . En fait, se former débouche inéluctablement sur « éduquer » et le «véritable « formé » est toujours un « s’éduquant ». 

        S’éduquer 

        Eduquer avec ces deux sens majeurs « nourrir, élever, faire sortir » oriente le champ sémantique vers une élévation, une extraction plus ou moins ontologique.  On se forme en s’éduquant. C’est l’éducation qui est le terme principal, le terme animateur.

        Tout se passe comme si l’éducation était du registre d’un projet impliqué d’une région essentielle de soi-même à connaître, un endroit à découvert sous l’envers que la société nous impose. L’éducation est élan de soi vers soi. Cette poussée rencontre la formation comme véritable mise en forme organisation pertinente de cet élan créateur.

        Tout l’art de l’éducation consiste à faire sentir aux apprenants en quoi ils sont animés par cet élan. Mais surtout en quoi cet élan est et demeure avant tout « leur élan », totalement singulier, irréductible à tout autre.

        Le sens se rapporte à une « autre chose, un « autre lieu », quelque chose qui nous échappe et qui pourtant nous rend présent au monde. Nous dirions, à ce propos, avec Yves Bonnefoy, « le désir du vrai lieu est le serment de la poésie ». Pris dans sa radicalité, le sens fait émerger le désir de poésie.

         Une structure qui fait sens

         Faire sens pour l’être humain peut vouloir dire une structure de signification qui articule trois dimensions : la profondeur, la gravité et la reliance.

        La profondeur signifie une relation dans laquelle nous ne finissons jamais de nous approfondir ; une relation qui va au-delà du non-sens et qui fait fleurir le sens au cœur même du non-sens ; une relation qui suscite à chaque instant une « intensité active » qui n’est pas une passion mais l’émergence du sens au cœur de chaque mot prononcé, de chaque geste et de chaque regard. Cette relation nous rend, au fil du temps, de plus en plus graves.

        La gravité ou devenir de plus en plus grave signifie que la lucidité nous gagne de plus en plus. Il s’agit bien d’une blessure qui n’en finit pas de saigner : celle d’une omnipotence infantile peu à peu bousculée, mutilée, ravagée par l’épreuve de la réalité. La gravité, c’est « la joie malgré tout », la joie qui transforme le destin en miracle, malgré la vision déchirante de ce qui est,les petites vengeances privées, les couteaux tirés au cœur des mots, les harpons d’acier dans les regards.

        Ce métissage d’être, dans la gravité, entre vision déchirante et joie radicale est de l’ordre d’un processus où l’on devient d’instant en instant « toujours plus profond, plus grave » dans l’épreuve de la réalité. C’est une véritable explosion des structures mentales qui entraîne une intensité de recueillement dans la communion.

        Entre relié, c’est être unifié à soi-même, aux autres, au monde. Le sens vécu de la profondeur suscite la gravité singulière qui provoque inéluctablement le sentiment de reliance. Avec la reliance, c’est tout l’acte de vivre qui devient solidaire.

        C’est avec l’accomplissement de la reliance que l’éducation commence à voir le jour, dans la mesure où elle invente des stratégies d’action juste, des tactiques d’instants propices.

        Sans ce triptyque ontologique « profondeur, gravité et reliance », l’éducation reste minuscule et se cantonne dans l’instruction, la formation, l’enseignement.  C’est une conception de l’éducation vue par le bout de la lorgnette.

        Eduquer ne se réduit ni à enseigner, ni à instruire, ni à former. Et pourtant éduquer informe ces trois aspects de ce qu’on nomme habituellement l’éducation dans les institutions.

        En vérité, l’éducation se confond avec le sens, c’est pourquoi elle est profondément humaine. L’homme ne se contente jamais à « nourrir, à sortir de hors d’enfance ».  Il fournit en plus, de l’imaginaire, des affects, du sens.

         Education, conflit et communauté

         Il ne saurait y avoir questionnement sur le savoir sans questionnement sur la connaissance et sur la communauté éducative.

         Le savoir à transmettre est une des priorités de l’éducation instituée. Mais encore faut-il s’entendre sur ce terme. Par « savoir », nous comprenons les ressources informatives prises dans le stock de connaissances disponibles au niveau planétaire et historicisé, c’est-à-dire resitué dans sa temporalité et sa caducité éventuelle. Le rapport au savoir est cette relation singulière et créatrice, souvent conflictuelle, qu’entretient un être humain en situation d’apprentissage avec cette source d’information. Ce rapport au savoir s’évalue sans parti pris en tenant compte de toute son originalité.

         Le savoir transmis devrait sortir de son ethnocentrisme occidental habituel. La dimension corporelle en éducation peut regarder du côté des cultures africaines pour y emprunter un sens d’une sensorialité non systématiquement compétitif. Le savoir ne saurait être exclusivement le « savoir scientifique ». Nos propres connaissances devraient être valorisées. Le savoir est nécessaire, mais il doit être ouvert et interculturel.

        Un vrai savoir conduit à des compétences et à une grande capacité créatrice et adaptative. Un savoir qui se réduit à du répétitif ne mérite pas d’être promu dans un monde où la créativité et l’inventivité sont de grandes armes.  

                           Max Kupelesa

Fabre, M., Penser la formation ? Paris, PUF, 1994, p. 23.


 

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