Les hommes sont comme les plantes, qui ne croissent jamais heureusement, si elles ne sont bien cultivées.
   
   
FACTEURS D'APPRENTISSAGE

Notre objectif dans les lignes qui suivent est de nous interroger plus spécifiquement sur les facteurs susceptibles de faciliter ou au  contraire, de faire obstacle à l’apprentissage, en particulier dans un contexte de formation d’adultes (alphabétisation, évangélisation, recyclage, session, journée pédagogique). Il s’agira non seulement d’identifier un certain nombre de ces facteurs, mais surtout de repérer aussi les mécanismes par lesquels ces facteurs interagissent le processus d’apprentissage.

Dans un premier temps, nous nous pencherons sur les facteurs qui renvoient aux caractéristiques du sujet apprenant et tout particulièrement sa trajectoire personnelle. Ensuite nous nous centrerons sur des facteurs davantage liés à la situation de formation elle-même, en particulier aux modalités d’interactions sociales qui se développent au sein de celle-ci. Il s’agira  à la fois d’une analyse théorique du rôle de ces facteurs dans l’apprentissage et d’une réflexion sur leurs implications pédagogiques et institutionnelles pour la formation d’adultes.

            Trajectoire de l’apprenant et apprentissage

            L’engagement d’un adulte en formation, quel que soit le type, s’inscrit dans une histoire, une trajectoire de vie de la personne. La question centrale est de savoir dans quelle mesure et par quels mécanismes des facteurs liés à cette trajectoire personnelle interagissent avec le processus d’apprentissage. Dans quelle mesure la trajectoire de l’apprenant rend-elle « réceptif » à certains apprentissages et « résistants » à d’autres ? Dans quelle mesure certains éléments de la situation de formation – la stratégie pédagogique déployée par le formateur, le climat socio-affectif du groupe ou encore le cadre institutionnel – peuvent-ils modifier ce poids de la trajectoire sur le degré de disponibilité du sujet à l’apprentissage ? Autant de questions que nous aborderons dans ce qui suit pour tenter d’identifier les différents points d’articulation entre, d’une part, la trajectoire du sujet et, d’autre part, le processus d’apprentissage.

            Problématique

            La décision pour un adulte de s’engager dans un processus de formation est d’une manière ou d’une autre liée à un projet personnel, professionnel et/ ou social. L’adulte attend de la formation un certain nombre de bénéfices immédiats, ce que nous pouvons appeler « les résultats escomptés » : des savoirs et des savoir-faire nouveaux, un diplôme, un nouveau réseau de relations sociales, une promotion au travail, etc. Ces attentes sont elles-mêmes sous-tendues par des aspirations plus profondes, même si elles ne sont pas toujours toutes conscientes. C’est ce qu’on peut appeler « les effets escomptés de la formation ». Il peut s’agir d’aspirations personnelles (prendre confiance en soi, soutenir un changement dans sa trajectoire personnelle, apprendre à lire et écrire, etc.), professionnelle (conserver son emploi, être plus performant dans son poste de travail, obtenir un nouveau poste ou un nouvel emploi, etc.) et/ou sociales (soutenir un engagement social ou politique ou un changement dans sa trajectoire sociale, etc.).

            Si le sujet consent à cet investissement, c’est dans la mesure où les attentes et aspirations sont suffisamment prégnantes, vécues comme importantes pour lui à ce moment-là de sa trajectoire et où le sujet est suffisamment convaincu que son engagement dans le processus de formation aura de réelles chances de contribuer à la réalisation de ces attentes et aspirations. L’engagement en formation s’inscrit donc dans des moments particuliers de l’histoire d’une personne, à savoir des moments de « tournants », de « mutations », « de ruptures d’équilibre », « de crise ». Il s’agit de « crise » non seulement sur le plan des pratiques mais aussi sur le plan de l’identité, c’est-à-dire de la représentation de soi, comme système de significations et de valeurs. On peut donc s’attendre à ce que l’engagement en formation s’accompagne d’une mobilisation à la fois cognitive et affective relativement importante.

            Ceci confère une dimension particulière à l’acte d’apprendre dès lors que celui-ci s’inscrit dans un contexte de formation. Pour comprendre comment une personne apprend dans ce contexte et plus particulièrement, ce qui, du côté de la personne, conditionne son activité d’apprentissage, il s’agit d’abord de prendre en considération les caractéristiques propres de l’individu dans sa singularité : ses dispositions personnelles (cognitives, psychiques, socio-affectives) et son insertion sociale. Mais au-delà de cette exigence, qui vaut d’ailleurs pour l’étude de tout apprentissage quel qu’en soit le contexte, il s’agit ici de prendre en compte le fait que l’apprentissage s’inscrit dans des moments critiques de l’histoire du sujet, de moments de tension entre un passé et un avenir, des moments de mobilisation cognitive et affective plus ou moins intense.

            La problématique des relations entre formation et trajectoire de la personne a déjà été abondamment traitée ces dernières années, essentiellement sous deux angles. Une première approche, qualifiée de « biographique », adopte une lecture résolument « clinique » du problème. Elle tente de saisir dans l’histoire personnelle du sujet apprenant la logique qui sous-tend ses choix en matière de formation ainsi que son fonctionnement comme apprenant en situation de formation (Villers, 1986 ; Dominicé, 1990 ; Josso, 1991). Une seconde approche (Dubar, 1991) traite la problématique sous un angle plus sociologique en s’interrogeant sur les logiques socio-professionnelles qui sous-tendent l’engagement des adultes en formation. Elles tentent ainsi d’établir les liens entre, d’une part, les choix posés par les adultes en matière de formation et, d’autre part, leur trajectoire socio-professionnelle.

            La spécificité de l’approche que nous développons ici consiste à s’interroger sur les différents points d’articulations possibles entre, d’une part la trajectoire personnelle de l’apprenant et, d’autre part chacun des sous-processus qui caractérisent la dynamique d’apprentissage telle qu’elle est appréhendée dans la perspective constructiviste, à savoir,

  1. La construction des structures de connaissances préalables
  2. L’activation de ces structures dans la situation de formation,
  3. La confrontation de ces structures activées avec l’information nouvelle et
  4. Le renforcement consécutif de nouvelles structures pouvant émerger de cette confrontation.

            L’impact de la trajectoire sur la dynamique d’apprentissage

            Le répertoire de connaissances dont un apprenant dispose à un moment donné est la résultante des apprentissages antérieurs réalisés par lui au fil de sa trajectoire de vie. Les structures de connaissances dont il dispose ont donc une genèse, et cette genèse est liée à l’histoire du sujet lui-même. C’est l’idée du constructivisme comme structuralisme génétique. On a là un premier point d’impact essentiel de la trajectoire du sujet sur le processus d’apprentissage, dans la mesure où, d’une part, l’apprentissage ne peut se réaliser qu’à partir de structures de connaissances disponibles au départ et, d’autre part, ces mêmes structures se sont construites progressivement au travers de la trajectoire de vie du sujet.
            C’est pourquoi si une étudiante va aborder le cours de sociologie sur les théories du pouvoir avec les conceptions du pouvoir qu’elle avait eu l’occasion d’élaborer au fil de son histoire personnelle, une maman peut avoir de graves difficultés à entamer un cours d’alphabétisation faute d’un préréquis pertinent.
            En effet, l’apprentissage d’une structure cognitive ne peut s’opérer que si cette même structure a été activée au départ comme structure d’accueil dans la situation d’apprentissage.  Mais quels sont les facteurs susceptibles de conditionner cette activation ? Celle-ci est liée, d’une part, à la saillance de certaines caractéristiques et que cette saillance est liée à l’information disponible concernant l’objet en question et au contexte. L’activation est liée, d’autre part, à la saillance de la structure elle-même dans le répertoire cognitif du sujet. A un moment donné, dans un contexte donné, certaines structures sont plus accessibles que d’autres dans le répertoire cognitif et ce sont les structures les plus accessibles qui sont les susceptibles d’être activées pour la catégorisation.
            Aussi, l’apprentissage peut consister en une réorganisation de la structure permettant la résolution d’un conflit entre cette structure et l’information nouvelle. Il peut exister un lien plus ou moins étroit entre cette structure d’accueil et le système de valeurs et l’identité de l’apprenant.
            La résistance au changement des structures de connaissances activées chez les apprenants dans un contexte de formation est fonction du domaine de connaissances traité dans la formation…

                                          Lire les lois de l’apprentissage
Max KUPELESA

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