Introduction
Tous les jeunes rêvent de « partir », de quitter le Congo ou l’Afrique pour une vie « meilleure ». Ce rêve, cet imaginaire est si fort qu’aucun argument ne convainc les « rêveurs ». Mais il n’est pas irresponsable de bien expliquer le phénomène et les enjeux.
Au sens strict, l’exode signifie un départ en masse, par référence à l’Exode des Israélites de l’Egypte vers la terre des promesses. Depuis, sous cette appellation dramatique, lancée par les défenseurs des valeurs traditionnelles au 19è siècle, on désigne la migration des gens des campagnes vers les villes, dans la mesure où cette migration devient relativement importante et continue. Dans les lignes qui suivent, nous voulons suivre ces migrants dans les méandres de leur aventure qui ressemble à une parabole qui fait réfléchir très longuement.
L’exode dans la Bible
« Les Israélites devinrent nombreux et puissants à l’extrême, au point de remplir le pays » (Ex. 1, 7). Cette croissance aurait alerté les autorités égyptiennes qui décrétèrent des mesures destinées à réduire la prolifération de ces étrangers. Alors auraient commencé les vexations qui purent paraître un esclavage qui ne semble pourtant pas avoir été imposé aux Israélites. Sans doute, certains d’entre eux étaient-ils, comme les paysans égyptiens, réquisitionnés de temps en temps, et peut-être plus souvent qu’eux, pour quelques corvées plus ou moins longues et plus ou moins pénibles. Ca ne semble pas avoir été un réel esclavage. Ces corvées étaient au reste la hantise du paysan égyptien lui-même. On comprend que cette situation ait fini par lasser les Israélites et qu’ils aient crié vers le Dieu des ancêtres de les faire sortir de ce pays. Il s’agit alors de « quitter un pays pour une longue traversée du désert » ! Ca évoque le Sahara pour ceux dont la terre promise est « Poto » !
La migration mise en récit est alors magnifiée et légitimée dans un cadre narratif bien accrédité. Le livre de l’Exode, annales d’un peuple et Parole de Dieu, a double valeur, horizontale – la chronique d’une histoire localisée, et verticale, le dévoilement d’un dessein surnaturel. Nous avons ainsi au recto, la mise en récit épique d’un parcours national, et au verso, la mise à l’universel d’événements particuliers. Nous en admirons mieux la vertu créatrice de l’auteur et l’efficacité des symboles du désert qui, lui-même constitue une véritable symbolique d’une expérience au ras du sol se dévoilant dans sa beauté et dans sa rudesse éprouvante.
Ce qui fait la cohésion des Israélites, c’est le partage psychique d’une origine et d’une destination. Eviter la débandade exige que le présent tienne le passé et ouvre au futur prometteur pour neutraliser la dissémination ! L’essentiel, c’est que Moïse quitte les palais pour les bivouacs et les Israélites quittent le pays d’Egypte dans son ensemble pour le vrai désert nu sablonneux ! Dieu les pousse vers les cailloux et l’inconfort pour apprendre à compter sur l’unique Essentiel, Lui-même. Une vraie expérience de maturité et de détermination d’un peuple de bâtisseurs s’acquiert dans la rudesse, le désert dure le temps d’une génération humaine, quarante ans d’épreuves dures et de fidélité au pas en avant ! Les Israélites fuient une misère pour en expérimenter une autre, celle due à leur propre choix de « quitter ». Ils ne vont pas de la campagne vers la ville merveilleuse, mais au désert.
La migration occidentale
La sortie d’un pays vers un autre est un phénomène très humain qui jalonne l’histoire de l’homme. Déjà la chute de l’empire romain marquait l’avènement de ceux que l’on nommait bien les « barbares » qui se déferlaient dans la grande partie de l’Europe actuelle. Ils émigraient avec fracas et violence, on dirait, avec barbarie et vandalisme; car durant des siècles, ils s’agiteront avec violence jusqu’aux colonisations avant de brandir la civilité.
Mais les migrations des campagnes vers les centres urbains ont commencé depuis que les villes existent, mais se sont intensifiées et ont commencé à prendre un caractère très massif notamment dans les îles britanniques au début du 19° siècle avec la révolution industrielle. Au milieu du 19° siècle, la population en ville devenait plus importante que celle des campagnes. Dans tout l’Occident finalement les citadins devenaient de plus en plus nombreux que les ruraux vers les années 1940. La migration vers les villes a été partout une facette de la révolution industrielle. La transformation du système de production et de l’offre d’emplois a provoqué une grande mobilité des populations au grand détriment des campagnes. Les premières industries s’étant développées en ville, les possibilités d’emploi augmentaient donc en ville. Les migrations sont sous-tendues par la quête du bien-être qu’offre le travail.
L’autre aspect de l’exode occidental dans le monde entier se nomme la conquête du monde sous la forme d’expropriation des terres, de domination et de colonisation. En effet, la découverte d’autres cieux, et par-là d’immenses richesses encore inexploitées a mis des centaines de milliers d’Européens en route vers de nouvelles terres d’Afrique, d’Amérique et d’Asie. Ces migrants se sont tellement bien servis, qu’ils ont même fondé leurs empires chez autrui, exterminant des millions d’autochtones, en vendant d’autres et réduisant tous les autres aux diverses corvées de mise en valeur de leurs domaines ruraux baptisés « colonies ». Aujourd’hui beaucoup font la loi des maîtres des terres en Amérique, en Australie, en Afrique par banque mondiale et FMI interposés. Ils sont encore plus cruels et arrogants dans leur petit continent bâti avec les richesses pillés et volées de par le monde. Et pour bâtir les pays dont ils se réclament, ils n’ont pas hésité à vendre et à instrumentaliser honteusement les Noirs, tout bonnement baptisés « bêtes de somme » ! Il a fallu qu’ils s’entretuent massivement et surtout qu’ils tuent les étrangers sur leur propre continent en 14-18 et 40-45 pour qu’il leur soit nécessaire de parler de « droits de l’homme et de paix ». Mais la sauvagerie avec laquelle ils avaient pratiqué la traite des Noirs n’a jamais suscité de problème de conscience comme c’est le cas face aux Juifs. Sur des sites des ex-colons, on peut encore lire des insultes des gens frustrés.
En fait, pour trouver du travail valorisant, la ville comme son propre pays ne suffisaient plus. Des milliers de populations européennes sont passées d’un pays à l’autre, de leur continent à d’autres. Ainsi des Anglais, des Italiens, des Français, des Russes, des Portugais, des Irlandais, des Espagnols, des Allemands, des Grecs, de Turcs, des Danois, des Belges, des Hollandais, etc. ont dû changer des pays, de nationalité et de continents à la recherche de la « terre promise » ! Actuellement, tout en qualifiant cela de « fuite de cerveaux », on estime à plusieurs milliers de techno-scientifiques anglais, belges, français, italiens, espagnols, indiens, chinois, coréens, viet-namiens et autres qui fuient vers les USA et le Canada par an à la recherche du bonheur. Le Canada et les Etats-Unis restent des pays d’immigration.
L’exode rural africain
Actuellement, les migrations massives concernent davantage les pays pauvres, notamment ceux d’Afrique, d’Amérique du sud, d’Asie et de l’Europe de l’est. C’est la quête du bien-être facile et du travail bien payé qui entraîne des larges coulées africaines vers les villes depuis la colonisation jusqu’à ce jour. Nombre d’Africains veulent sortir de leur condition trop précaire, veulent un travail bien rémunéré afin de profiter des avantages de la ville. Mais les villes africaines offrent de moins en moins la possibilité de sortir de la misère noire, en ville comme au village, l’avenir radieux demeure chimérique, imaginaire. Cependant, comme la lumière attire, quelle qu’elle soit, les villes ne cessent d’attirer, les unes au détriment des autres. Ainsi, les villes africaines se trouvent inondées de jeunes ruraux qui n’ont parfois même pas où loger ni de quoi manger. La recherche du bonheur impose souvent à expérimenter des situations plus que dramatiques de sous-alimentation et de déshumanisation. Ce que l’imaginaire meut souvent plus fort que la raison.
Les multiples crises que connaissent plusieurs pays africains font stagner l’économie et les emplois sont rares ou précaires, les quelques PME dans les provinces sont fermé, le chômage est à son comble, il ne reste que l’agriculture. Ceux qui ont pu sortir de tel pays ou de l’Afrique pour une expérience plus ou moins heureuse en Occident n’ont pas manqué de faire miroiter le bonheur facile, à portée des mains en Europe et en Amérique du nord. Il fallait désormais tenter sa chance, faire baver les autres ! On n’est pas loin de croire que la vraie vie, c’est en Occident, il faut donc se dépêcher. Mais pour quel destin ? Le rude désert attend au tournant.
S’il avait fallu à Israël de durer et d’endurer au désert avant d’accéder à la terre des promesses, pour partir, il fallait des stratégies efficaces. Les barbares ne pouvaient pas faire tomber le gigantesque empire romain sans stratégie valable. Les explorateurs ne venaient pas à l’emporte-pièce, sans un plan pertinent. Oui ! Les humiliations, la servitude et le mépris que plusieurs anciens et nouveaux immigrés font subir aux pauvres Africains devraient aider nos frères et sœurs à bien faire le choix du départ. Car, partir ne suffit pas. Il faut se préparer à affronter le racisme nu.
Si vraiment c’est le bonheur que l’on cherche, il serait plus indiqué de le chercher intelligemment, d’aller chercher de l’emploi avec des compétences stratégiques et compétitives, car la qualité totale exige des acquisitions spécifiques et stratégiques. Partir de son village ou de son quartier sans aucune formation stratégique vers l’Occident qui compte ses chômeurs, c’est s’exposer à un esclavage volontaire. Pourtant, si ces Occidentaux avaient réussi à transformer nos terres sauvages en beaux pays, nous pouvons faire de même et nous devons le faire.
Les causes de l’exode rural
Le désir de bien vivre, de réussir économiquement et de profiter des effets de la modernité incite parfois à se mettre en route. Dans un pays comme la RDC, où le monde rural est sacrifié : l’argent ne circule pas à l’intérieur du pays, les services publics sont précaires, les industries inexistantes, les magasins sont à des centaines de kilomètres dans des agglomérations plus importantes, le transport se fait à pied, l’eau est toujours loin, la force de l’arbitraire policier… la vie redevient primitive, les jeunes ne se retrouvent pas. Les médias leur parlent des villes lointaines où il y a mieux ! Tous les jeunes ne rêvent que de « partir » tant que le pays n’existe que de nom, tant qu’il n’y a pas de vrais dirigeants, capables de créer un vrai pays et de transformer la terre des hommes en paradis où la richesse profite à tous.
Les conséquences de l’exode
Si l’un ou l’autre migrants réussissent à sortir de la misère, la plupart vivent l’exode sous forme de croix, d’échec, d’exclusion raciale. Ils sont déshumanisés, humiliés, méprisés, écrasés par une souffrance bien plus grande que la pauvreté du village. Ils reçoivent des noms : sans papiers, clandestins, immigrés. Ceux qui ont réussi à passer la frontière doivent se cacher, ceux qui se font cueillir à la frontière sont gardés dans des réserves ou rapatriés, sinon tués par des policiers malveillants! La plus grave conséquence est le culte de l’imaginaire, qui fait croire que le bonheur est toujours ailleurs, chez les autres et qui fait oublier que chacun est appelé à devenir acteur, créateur du bonheur chez lui. En Occident, un Africain, quel que soit son niveau de formation est sous-employé et ne connaîtra jamais une promotion.
Aussi, dans une ville, il est absolument nécessaire de favoriser le transport public, créer des réseaux de distribution d’eau, d’électricité, de téléphone, d’éclairage public, etc. Ce qui élève le prix de l’urbanisation et fait que l’exode rural vers les villes coûte très cher aux finances de l’Etat. Parfois cela empêche d’investir à l’intérieur du pays. Mais la vraie solution est de créer des mini-villes dans les pays africains et d’y créer des emplois, car ce que les gens, c’est de gagner leur vie par un travail payé.
En outre, l’exode rural dans un pays sans économie favorise un développement rapide du chômage dans les villes, et simultanément, un manque de bras dans l’agriculture à la campagne. En fin, l’exode rural massif est une cause de la déstructuration de la société et des traditions, avec un déracinement profond et une évolution psychologique diverse. Si les détenteurs des grands diplômes d’Occident ne trouvent que de petits emplois, pourquoi nourrir d’espoir que leurs enfants trouveront mieux. Il faut sortir de cet imaginaire absurde.
Conclusion
Quand on voit comment ceux qui ont rêvé de trouver le bonheur facile peinent, tentent de noyer leurs frustrations, il apparaît clairement que la fuite en avant n’est pas toujours une solution. Nous devrions reprendre à notre compte la manière dont les Belges ont su aménager, humaniser, organiser, urbaniser et développer un territoire aussi sauvage pour en faire un pays viable, beau et riche. C’est dur, mais nous n’avons pas de choix. Certes, cette entreprise nécessite des moyens et des efforts, c’est cela que nous devons exiger des gouvernants, mais aussi des jeunes qui, ici et là, réussissent à trouver des moyens. Nous voulons tous être heureux, mais le bonheur n’est pas toujours ailleurs ! Les lois d’inhospitalité se multiplient en Occident et se transforment en obsession de verrouillage des frontières, la suspicion généralisée et la répression. Il en résulte des graves atteintes aux droits humains des étrangers, notamment des Africains qu’il est utile de nous sensibiliser sur les conséquences du phénomène « mikili, ngulu, etc. ».
Max Kupelesa Ilunga, sj