Les hommes sont comme les plantes, qui ne croissent jamais heureusement, si elles ne sont bien cultivées.
   
   
   
   
Les enjeux de l'intelligence économique

          Introduction

          L’effondrement de l’union soviétique et la fin de l’affrontement entre les deux entités idéologiques dominantes marquent l’avènement d’une nouvelle géographie économique du monde. La dimension marchande et financière des activités économiques prend une importance inégalée et la pression concurrentielle internationale touche progressivement l’ensemble des secteurs d’activités dans le monde.

         Désormais, les relations de coopération-concurrence se développent entre les nations, les blocs économiques et les entreprises au rythme de logiques complexes et parfois contradictoires. Dans ce contexte, l’efficacité stratégique des entreprises repose sur le déploiement de véritables dispositifs d’intelligence économique, levier majeur au service de la performance économique et de l’emploi.

         L’intelligence économique est devenue un outil à part entière de connaissance et de compréhension permanente des réalités des marchés, des techniques et des modes de pensée des concurrents, de leurs cultures, de leurs intentions et capacités à les mettre en œuvre.

         Dans les lignes qui suivent, nous allons tenter de cerner cet ensemble des actions coordonnées de recherche, de traitement, de distribution et de protection des informations utiles aux acteurs économiques. Et avant tout, essayons de définir ce nouvel outil.

          Définition

          Depuis toujours, chacun rêve de posséder juste à temps, comme atout décisif dans la confrontation commerciale ou dans la négociation, des connaissances que les autres n’ont pas ou, qu’au contraire, ils souhaiteraient garder secrètes. Voilà l’avantage concurrentiel que peut procurer la pratique professionnelle de l’intelligence économique, qui implique la maîtrise d’une méthodologie et des moyens d’observation, d’acquisition et de traitement suffisants.

         L’intelligence économique est la maîtrise concertée de l’information et de la coproduction des connaissances nouvelles. C’est l’art de détecter les menaces et les opportunités en coordonnant le recueil, le tri, la mémorisation, la validation, l’analyse et la diffusion de l’information utile ou stratégique à ceux qui en ont besoin.  L’intelligence économique est un cycle d’informations dont la finalité est la production de renseignements stratégiques et tactiques à haute valeur ajoutée. Dans cette définition, l’accent est mis sur la détection des signaux faibles.

         Nous pouvons dire, sous un angle plus complet dans la stratégie des entreprises que l’intelligence économique n’est seulement un art d’observation mais une pratique offensive et défensive de l’information.  Son objet est de relier entre eux plusieurs domaines pour servir à des objectifs tactiques et stratégiques des entreprises.  C’est un outil de connexion entre l’action à entreprendre et les informations stratégiques de l’entreprise à intégrer dans la prise de décision.

         L’intelligence économique est donc un métier fédérateur de techniques éprouvées, anciennes et modernes dont l’objectif est de réduire la part d’incertitude dans la prise de toute décision stratégique pour mener des actions d’influence.  Il s’agit de rendre «plus intelligentes » les entreprises engagées dans la compétition économique, nationale et internationale.

 

--------Quelle méthode utilise-t-on ?

         Le cœur de la méthodologie est l’expression des priorités stratégiques ou tactiques, le constat du déficit d’information à acquérir, l’identification de l’information à protéger et l’établissement de consignes de veille ou d’action à mettre en œuvre.

         Les moyens sont ceux d’un processus logique de traitement de quantités variables de données et de connaissances utiles, connues, observées ou découvertes, internes ou externes, de leur interprétation, de leur valorisation, de leur synthèse et de leur communication juste à temps. Les techniques employées en intelligence économique se rapprochent de plus en plus de celles, globalisées et multiapplicatives utilisées dans l’acquisition des données, l’observation, la reconnaissance, l’élaboration de synthèses et leur transmission aux organes décisionnels.

         C’est sous cet aspect que nous considérons l’intelligence économique comme une discipline faisant appel à des experts, de forte culture pratiquant des langues étrangères et de haut niveau conceptuel, et non comme une panoplie de technique d’acquisition d’information par tous les moyens possibles. Schématiquement, nous pouvons articuler la méthodologie en quatre points majeurs :

  1. Le savoir consiste à installer des infrastructures de canalisation d’échos ou de posséder des unités mobiles d’échos pour recueillir le maximum d’informations utiles dites stratégiques ou à forte valeur ajoutée.
  2. La compétence collective permet de capitaliser un savoir en interne et de l’enrichir. En nourrissant le flux informationnel de l’entreprise et en s’assurant de sa bonne circulation dans les réseaux, on obtient  sa validation par la vérification de sa fiabilité, de sa bonne  distribution et de sa bonne utilisation. Il s’agit d’avoir la bonne information au bon moment de la bonne personne.
  3. L’analyse  des informations reçues permet de leur donner du sens. Ainsi, la cartographie stratégique permet de comprendre l’environnement, les menaces ou les opportunités, les prises de position et les enjeux de pouvoir invisible. Cette dynamique permet de dresser un panorama complet de la situation, avec une bonne marge de manœuvre. Une fois l’échiquier et les pions stratégiques cernés, l’intelligence économique aborde sa phase d’action ou de contre-action.
  4. L’action et la contre-action : l’information préalablement valorisée prend tout son sens dans la recherche, la construction et la mise en place de scénarios tactiques pour agir ou riposter à des événements ou pour répondre aux objectifs propres à  l‘entreprise.

L’intelligence économique dans le monde

          La complexité de la mondialisation et des relations économiques internationales oblige à reconsidérer les grilles classiques de l’échiquier concurrentiel. Les attaques frontales entre entreprises, lourdes de conséquences se sont transformées en « ripostes subversives » où agissent des réseaux de pression organisés en manipulant de l’information. La déstabilisation de l’entreprise par l’information est devenue courante dans l’économie. Ainsi, la lutte pour le contrôle de l’information est devenue un élément crucial, synonyme de pouvoir et de richesse. La domination informationnelle est devenue une préoccupation économique majeure.

         C’est pourquoi, dans ce contexte de guerre économique, l’analyse des systèmes d’intelligence économique étrangers permet de comprendre pourquoi des économies de marché produisent des systèmes de gestion stratégique de l’information plus performants que d’autres. L’intelligence économique s’est ainsi développée sur des bases historiques et culturelles selon des formes différentes en Allemagne, au Japon, aux USA, etc.

         En Allemagne, le savoir-faire en gestion stratégique de l’information provient avant tout de l’essor historique du commerce allemand à l’étranger. Actuellement, le flux d’informations convergent vers un centre stratégique caractérisé par le maillage d’intérêts qui associent les banques, les grands groupes industriels et les sociétés d’assurance. Les syndicats allemands, grâce à leurs contacts extérieurs y sont très actifs dans la défense des intérêts économiques du pays. Le consensus sur la notion d’intérêt économique national constitue l’un des principaux atouts culturels de la performance économique allemande.

         Dans une même logique, les japonais ont constitué leur appareil industriel et commercial sur la base d’un usage intensif de l’information économique au service de l’indépendance nationale. Le ministère du commerce international dispose ainsi de plus d’une centaine de bureaux répartis dans plus de 60 pays pour promouvoir le commerce, recueillir les informations et importer des technologies au Japon. Ce pays a la caractéristique de posséder une culture dynamique du secret du partage de l’information, caractérisée par une vigilance en éveil. En effet, après la défaite de 1945, le nouvel objectif national fut l’économie. Les Japonais ont développé des méthodes très sophistiquées au service d’une stratégie à long terme et d’une réflexion prospective à dix, vingt et trente ans qui privilégie l’avenir et non le profit immédiat. De multiples organisations établies en réseaux sont dédiées cette tâche.  Aussi, la très grande force japonaise est que la culture de l’information collective est enseignée et développée dès l’école.

         Aux USA, l’économie dispose d’un système d’intelligence économique riche et diversifié. Cependant, à la différence des autres pays, la logique qui gouverne ce système est essentiellement individuelle. Née de la politique des entreprises dans les années 1950, l’intelligence économique américaine est restée longtemps l’outil de la rivalité concurrentielle interne.  Depuis, les USA disposent d’un maillage serré autour de l’existence de nombreuses bases de données et d’un appareil de lobbying efficace.  La CIA a même développé un logiciel utilisé par plus de dix mille entreprises dans le monde, qui recherche automatiquement sur Internet des informations, les traite et les distribue aux départements intéressés.

-------L’intelligence économique en RDC  ?

         L’intelligence économique devrait nous permettre d’anticiper l’avenir, de définir ce qu’il est essentiel de promouvoir et de préserver pour maîtriser notre destin, de transmettre aux générations futures autre chose qu’un champ de misère, de rebellions et de guerres destructrices. Elle permettrait de guider le ciblage des efforts de recherche, de définir une politique dans laquelle l’industrie, créatrice d’emplois, de richesses et de puissance, retrouverait le rang de priorité nationale. En effet, l’Etat congolais, avec ses nombreuses entreprises publiques, pouvait faire de l’intelligence économique un véritable patriotisme économique, au lieu de les livrer à la cupidité sauvage de quelques mandataires.

         Pour que l’intelligence économique devienne réalité stratégique, il faut d’abord que l’Etat construise une doctrine économique, identifie les intérêts économiques et scientifiques majeurs de notre pays, puis qu’il mette en place les outils efficaces destinés à leur promotion et à leur défense. Mais d’abord, il faut que l’information circule verticalement et horizontalement bien et qu’on favorise la convergence d’intérêts entre le secteur public et le privé. Un Etat qui ignore la psychologie des acteurs économiques ignore automatiquement les réalités du marché et méconnaît ses atouts.

         A ces handicaps institutionnels s’ajoutent les handicaps culturels : nos élites n’ont souvent été formées que superficiellement aux transformations de notre environnement économique. L’absence de services de renseignement suffisamment formés et l’absence des réseaux techniques et stratégiques d’informations risque de nous faire davantage pied. Des sociétés d’intérêt stratégique passent sous le contrôle d’investisseurs avisés, des technologies étrangères sont retenues pour traiter des informations liées à la circulation d’informations confidentielles. Ainsi, au lieu de passer de la fascination à l’imitation, du voyeurisme à l’action, nous traînons encore et toujours le pied dans la naïveté africaine anachronique. L’actualité internationale ne cesse d’éclairer les enjeux et de souligner les faiblesses du dispositif institutionnel et privé en Afrique et dans notre pays.

         L’intelligence économique devrait être une vraie et grande politique publique de l’Etat pour promouvoir collectivement les intérêts nationaux. Elle ne coûte pas grand-chose et son efficacité repose sur celle des réseaux, des circuits de l’information stratégique.  Ainsi, de l’intelligence économique, nous pourrions attendre la protection de notre patrimoine, des gains de compétitivité et des parts de marché plutôt que laisser toutes sortes de prédateurs profiter de notre richesse alors que les Congolais sont de plus en plus pauvres.

         Dans un monde où l’interdépendance croissante des Etats, les influences croisées des Etats forts et des entreprises puissantes, le surgissement et la montée en puissance des organismes intergouvernementaux tels que le FMI, la Banque mondiale, l’Union européenne, la Francophonie, etc. et des organisations non gouvernementales, tous à la recherche du pouvoir et du profit, il convient de réviser les modes de réflexion et les comportements des acteurs économiques congolais. Prendre conscience du fait que la souveraineté de nos Etats est en partie portée désormais par des technologies-cléfs issues des entreprises impose de mettre en œuvre de véritables stratégies économiques de développement.

 -------------------------------------- Max Kupelesa Ilunga, sj


 

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