"Des têtes bien faites plutôt que des têtes bien pleines"
   
MOTIVATION ET REUSSITE SCOLAIRE

         Introduction

          On entend de plus en plus dire que les jeunes ne s’intéressent plus aux sciences, à la religion, à l’histoire, qu’ils n’ont plus le goût d’apprendre, qu’ils cherchent à réussir sans effort et qu’ils n’ont pas d’ambition, de projet, de volonté, de curiosité, de motivation.

         A la suite du courant psychologique comportementaliste (behavioriste), l’ensemble de ces termes a été regroupé dans le concept générique de motivation qui est l’ensemble des mécanismes biologiques et psychologiques permettant le déclenchement de l’action, de l’orientation, de l’intensité et de la persévérance.

         Nous voulons présenter ici quelques éléments utiles pour les enseignants, les formateurs et les parents afin de les aider à mieux comprendre la motivation et la démotivation dans un contexte d’apprentissage.  

        

Motivation et apprentissage

 

      Chacun de nous connaît le célèbre Pavlov. La salivation n’est produite naturellement que par un morceau de viande dans la gueule du chien. En associant un son à ce contact, le son va progressivement déclencher la salivation : le son devient un stimulus conditionnel ou conditionné.  Watson pense que c’est là la clé de l’explication de la psychologie animale et humaine.

         Voulant rompre avec les anciennes méthodes de la psychologie philosophique basée sur l’introspection (s’observer soi-même), il érigea de nouveaux principes consistant pour le psychologue scientifique à n’étudier que ce qui est objectivable, c’est-à-dire des réponses, des comportements ou des stimulations appelées stimulus.

         Le stimulus était dans la guerre antique un ensemble de pointes de bois plantées en terre et recouvertes de paille pour blesser les guerriers ou leurs chevaux. Le choix de « stimulus » est donc significatif : un stimulus déclenche une réaction. Pour Watson, tout est donc conditionnement, et l’ensemble des « mécanismes mentaux » n’est qu’un vaste ensemble d’associations « stimulus-réponses » plus ou moins complexes.  Voilà qui explique que plusieurs expériences furent réalisées en laboratoire : étudier en petit (sur des animaux) des mécanismes associatifs analogues aux hommes.

         Les premières recherches quantitatives sur la motivation sont apparues dans le cadre des théories behavioristes, notamment au cours d’un duel entre deux grands chercheurs : Clark Hull de l’université de Yale, pur représentant du behaviorisme qui a essayé d’expliquer les apprentissages par des assemblages des séquences conditionnées ; et Edward Chace Tolman de l’université de Californie, défenseur du « behaviorisme de l’intention ».

 

         Hull perçut rapidement la nécessité de lier la motivation à l’apprentissage. Pourquoi ? Parce que le rat, animal laboratoire privilégié à cette époque, ne travaille que s’il est affamé et surtout s’il est récompensé. Pour Hull, la force du comportement est le produit de deux paramètres : la force de l’habitude ou le niveau d’apprentissage antérieur et le « drive » ou le mobile (motivation). D’où cette formule :    Apprentissage  =   Motivation  x  Habitude - c’est-à-dire que l’apprentissage est  le produit d’une motivation (mobile) et du niveau d’apprentissage antérieur (habitude) à une conséquence immédiate : On n’apprend pas sans être motivé.  On peut jouer sur la motivation par les récompenses mais également par les punitions : compliments, réprimandes sont des lois du renforcement.

         Des études ont montré que plus on apprend des tâches équivalentes et plus les scores augmentent, du fait de la mise au point des stratégies : ce phénomène a été appelé « apprendre à apprendre ».

 

 

Voici à ce sujet une expérience intéressante qui fait prendre conscience.

 

         Un groupe des filles devaient résoudre le plus de problèmes possibles en quinze minutes. L’expérience devait durer cinq jours. Dans le groupe dit « réprimande », chaque fille devait être réprimandée indépendamment de ses résultats en l’obligeant à se lever devant toutes les autres.

         Dans le groupe dit « compliment », chaque fille recevait des compliments, mais sans connaître les résultats. Le troisième groupe dit « ignoré » assistait aux deux cérémonies, tandis que le quatrième groupe dit « contrôle » travaillait dans une pièce isolée, sans aucune indication (ni blâme, ni compliment). 

 

         Quels sont les résultats ?

 

         On observe qu’avec un départ équivalent de douze problèmes résolus, le groupe contrôle ne s’améliore pas, ce qui va dans le sens de la Loi de Hull. Le groupe complimenté se perfectionne avec rapidité, atteignant une vingtaine de problèmes résolus au bout de cinq jours d’entraînement. A l’inverse, le groupe réprimandé, qui pourtant s’améliore le deuxième jour, voit sa performance chuter pour rejoindre le groupe ignoré, ces deux groupes n’ayant pas une performance très éloignée du groupe contrôle, ou si l’on préfère du niveau de départ.  Au total, les renforcements positifs sont essentiels dans la pédagogie mais on constate qu’ignorer les élèves équivaut à un renforcement négatif, à un arrêt de mort pour les pauvres élèves laissés pour compte.

 

         Des enseignants ou des parents attentifs ont probablement fait de telles observations. Nous savons par les récits des élèves et des étudiants que certains enseignants sont particulièrement très négatifs et découragent les élèves par des évaluations négatives, des sarcasmes, des prédictions négatives : « vous êtes nuls,  vous n’êtes pas à votre place ici, seuls 2 ou 5 réussiront parmi vous… »

         L’expérience ci-haut montre que les paroles, prétendument « encourageantes » pour certains ont un effet dévastateur quel que soit le niveau de départ des élèves. Cet autre cas peut renforcer cette conclusion :

 

         Une séquence d’apprentissage avait été organisée de la même manière dans quatre disciplines différentes avec les professeurs correspondants. L’examen des courbes individuelles d’apprentissage avait montré généralement des résultats bénéfiques, y compris pour des élèves très faibles, sauf pour l’une d’entre elles dans une seule matière. En constatant ce fait, le professeur de la matière s’était rendue compte que son attitude avait eu un rôle plus important qu’elle ne l’avait voulu et avait expliqué qu’elle avait réprimandé l’élève, ne croyait pas en ses capacités. La prise de conscience de cette enseignante lui a fait changer d’attitude et a permis de meilleures performances de l’élève par la suite.

         Comme l’avait dit Skinner, en pédagogie, les renforcements positifs sont préférables, les renforcements négatifs sont générateurs de stress, de frustration, de blocage et conduisent à la résignation apprise.

 

         Ce serait une erreur de croire que les renforcements, la carotte ou le bâton, ne sont utiles que pour les élèves de petites classes. Le jeton de présence, la note renforcent toujours la présence et la participation.        

 

         Quelle cote donner ?

 

         Même pour les rats, toutes les récompenses n’ont pas la même valeur. Hull  fait jeûner deux rats dans une cage pendant une journée, et après, il les nourrit différemment : l’un reçoit une toute petite boulette, tandis l’autre reçoit tout un tas de ces mêmes croquettes.  Dans la première phase, les deux se comportent selon la loi de Hull : celui qui a reçu plus de nourriture court plus vite et celui n’a reçu qu’une boulette va très lentement.

 

         Lorsque la ration tend à s’équilibrer, on s’aperçoit que la vitesse s’inverse. Hull conclut que le renforcement seul ne suffit pas pour déclencher la motivation. La quantité ou la qualité du renforcement : les rats trop « gâtés » ne sont plus motivés par une petite quantité de nourriture. Hull a rencontré aussi cet effet chez le chimpanzé habitué à recevoir la banane et qui n’a reçu cette fois une feuille de salade : il s’est mis à chercher sous les feuilles la récompense à laquelle il était habitué.  Hull a alors ajouté à sa formule la notion de valeur incitative de la récompense. Le renforcement n’a pas seulement un rôle, mais aussi une valeur incitative.

         La notion de « valeur incitative » du renforcement est très utilisée dans l’organisation du travail sous forme de prime en nature ou en argent. Dans la vie courante, les exemples sont nombreux des enfants gâtés qui deviennent blasés. Au niveau scolaire, cet effet rend compte entre autres des déceptions des élèves qui, habitués à un bon classement ou à de bonnes notes, sont déçus d’un classement moyen ou de notes tout simplement correctes. Les élèves qui ont étudié dans des bonnes écoles primaires et/ou secondaires et qui se retrouvent dans des universités délabrées et qui ne peuvent persévérer décrochent ou cherchent à aller étudier à l’étranger.

 

Habituer à des récompenses excessives conduit à casser la motivation par l’impossibilité de fournir des récompenses plus fortes. Une bonne pédagogie de la motivation doit être équilibrée avec un niveau de récompense adapté à la difficulté et au niveau scolaire considéré.

Il est évident que certains comportements humains ne s’expliquent pas dans le cadre strict du renforcement : le jeu, le loto, etc. Certains continuent de jouer, parfois toute la vie, sans jamais gagner. Comment expliquer cette persistance ? Qu’est-ce qui motive dans ce cas ?

C’est par l’anticipation symbolique du renforcement que ces gens persévèrent. Ce qu’on s’attribue en avance en imagination joue beaucoup. Ainsi, le « phénomène suivi » et la corruption  au campus et à l’ISTM  ont cette valeur incitative anticipative ! 

 

    Motivation intrinsèque et extrinsèque 

 

         Peut-on apprendre sans motivation ?  Tolman le pensait d’après la célèbre expérience de l’apprentissage latent. L’expérience consiste à comparer l’apprentissage d’un labyrinthe par trois groupes de rats. L’un est toujours renforcé par de la nourriture au but, l’autre jamais et le troisième est seulement renforcé le 11è jour.  Tolman constate que le groupe renforcé à partir du 11è jour devient aussi bon au bout de 2 à 3 jours que celui qui est renforcé chaque jour.

         Ce phénomène appelé « apprentissage latent » montre que le renforcement jouerait plus sur la performance que sur l’apprentissage lui-même. Autrement dit, la mémoire enregistre des informations mais l’absence de renforcement empêche la sélection des informations utiles.

         Néanmoins, ce phénomène n’est peut-être pas aussi démonstratif, car il existe un besoin de curiosité non renforcé par la nourriture. Ce besoin a notamment été mis en évidence chez les signes. Dans une cage fermée, chaque singe doit apprendre à discriminer un carton bleu d’un carton jaune, et lorsqu’il s’appuie sur le bon carton, la récompense est l’ouverture d’une fenêtre avec vue sur la pièce. Dans la pièce, différentes animations sont prévues : par exemple, un train électrique. La récompense n’est donc pas, comme à la mode behavioriste, de la nourriture, mais une stimulation cognitive.

 

         Harry Harlow, à l’origine d’un renouveau après le behaviorisme, parla de « motivation cognitive ». L’expérience peut ainsi durer, sans qu’apparaisse de satiété, ce qui est très important sur le plan théorique.

         En effet, jusqu’alors les théories des besoins, développées par Freud, les éthologistes ou les behavioristes, correspondaient à ce que le physiologiste Cannon avait exprimé sous l’élégante formule de la « sagesse du corps ». Pour lui, le besoin est provoqué par une rupture au niveau du métabolisme qui crée un manque, le besoin.

         Or, le besoin de curiosité ne subit pas de baisse, témoin de satiété, même durant une longue période d’un mois. Ce fait crucial conduisit Harry Harlow à opposer les motivations d’exploration aux besoins physiologiques.

         Les motivations cognitives ou besoin de curiosité (ou d’exploration) s’accorde bien aux découvertes des neurophysiologistes de l’époque : le cerveau ne déclenche pas seulement avec des stimulus, mais il a une activité propre. En revanche, il a besoin de stimulus pour réguler son activité.

 

         Des singes pouvaient travailler sur des jeux (puzzle) pendant une longue durée sans aucune récompense, simplement pour l’activité en elle-même. Ce besoin de manipulation n’était guère assimilable à un mobile ordinaire puisqu’il ne correspondait pas à un renforcement strict : Harlow a donc proposé de classer ces besoins de curiosité et de manipulation comme étant des « motivations internes ».

         Jusqu’alors on pensait, et on pense encore de nos jours que toute motivation est augmentée par le renforcement ; par exemple, les joueurs professionnels, les acteurs, les chanteurs gagnent des sommes de plus en plus colossales.  Harlow a montré le contraire chez les singes :

 

         Dans une première phase, la réussite du puzzle était récompensée par de la nourriture pour un groupe alors que l’autre groupe ne recevait aucune récompense pour la même réussite. Ensuite, les expérimentateurs ont à nouveau donné les puzzles en l’absence de toute récompense pour les deux groupes. Alors qu’on s’attend à plus de manipulations et de réussites dans le groupe préalablement renforcé, les résultats prouvent le contraire :  les singes issus du groupe récompensé ont moins de bonnes réponses que les singes antérieurement non récompensés. Le renforcement « tue » la motivation intrinsèque.

 

         Les expériences de Harlow amènent une distinction essentielle entre deux catégories de motivation : les motivations extrinsèques régies par les renforcements (loi de Hull) et les motivations intrinsèques (curiosité, manipulation, etc.) nont de but que l’intérêt pour l’activité elle-même. 

 

         Diminution de la motivation intrinsèque chez l’homme

 

         La diminution de la motivation intrinsèque par les récompenses s’applique également  à l’homme. Edward Deci (1971) propose à deux groupes de sujets de résoudre des problèmes de puzzles qui ont été jugés auparavant comme très intéressants sur une échelle. Les problèmes sont proposés aux sujets au cours de trois périodes. La première est identique pour les deux groupes : les sujets doivent résoudre un certain nombre de problèmes en temps limité. Lors de la deuxième période, l’expérimentateur donne 1 dollar par puzzle réussi au premier groupe alors que le deuxième groupe  ne perçoit aucune récompense monétaire. Enfin pour réaliser la phase test lors de la troisième période, l’expérimentateur invoque une excuse qui lui permet de s’absenter. Mais avant de partir, il propose aux sujets soit de faire quelques puzzles supplémentaires, soit de lire des revues, ou enfin de ne rien faire…

         Les sujets sont alors observés à leur insu par une caméra et leur motivation intrinsèque est mesurée par le temps librement passé sur les puzzles.

 

         LES RESULTATS  montrent deux grands effets, différents selon les périodes. Bien que le temps passé sur les puzzles soit à peu près le même entre les deux groupes dans la première période (ce qui montre que les groupes sont assez similaires), on constate lors de la deuxième période que le groupe récompensé passe plus de temps en moyenne, environ 6 minutes contre environ 4 pour le groupe non récompensé : il s’agit de la loi du renforcement. Mais l’effet s’inverse lors de la période du libre choix.

 

         Chez l’homme, les récompenses extrinsèques comme l’argent, les approbations verbales, les félicitations, les acclamations, causent une diminution de la motivation intrinsèque. Dans ce cas, le sujet n’effectue plus le comportement ou l’action pour la satisfaction qu’il peut en tirer mais pour des approbations extérieures, des motifs extrinsèques.

 

         Plusieurs expériences ont confirmé ce résultat, même chez les jeunes enfants. Connaissant ce phénomène, il est évidemment d’un grand intérêt pour le pédagogue de savoir ce qui fait diminuer la motivation intrinsèque.

 

         Les recherches ont effectivement  trouvé plusieurs raisons. Dans l’expérience originale de Deci, c’est la récompense monétaire. Dans l’expérience du ruban rouge, il s’agit du « prix », et l’on sait combien les prix sont variés, des bons points, images, habits, livres, médailles… aux diplômes, la panoplie ne cesse de s’enrichir avec l’âge : les médailles olympiques ou militaires, les oscars, les césars, les prix Nobels, etc.

         Mais la diminution de la motivation intrinsèque s’observe aussi dans d’autres situations, en général de contraintes, évitement d’une punition, surveillance ou même imposition d’un temps limite : 

  1. 80 enfants de 4 à 5 ans, d’une crèche participent à une activité de puzzles, mesurés auparavant comme attractifs. Dans un groupe, on promet en récompense du bon travail sur  les puzzles de pouvoir jouer à des jeux très attractifs (robot, station lunaire…) que l’on montre aux enfants (ils y joueront effectivement comme promis). Dans l’autre groupe, l’activité des puzzles est réalisée pour elle-même (motivation intrinsèque). De plus, chaque groupe est séparé en deux selon les conditions de surveillance. Dans chacun des sous-groupes surveillés, une caméra TV est placée à côté de l’enfant et l’expérimentateur dit à l’enfant que la caméra l’enregistre pendant son absence pour voir s’il a bien travaillé. 
  1. Une à trois semaines plus tard, on teste la motivation intrinsèque en laissant pendant une heure d’activités libres une table avec puzzles, et deux observateurs cachés (de plus non au courant de la première phase pour ne pas être influencés) comptent les enfants qui, spontanément, jouent aux puzzles.

  Résultats : 

 

1.On constate que la récompense diminue la motivation intrinsèque mesurée par le libre choix de l’activité. Ce qui est nouveau ici est l’effet de la surveillance diminuant dans le même ordre de grandeur l’attrait pour l’activité libre.

2. La surveillance diminue la motivation intrinsèque.

90 % des enfants  non récompensés et non surveillés ont rechoisi librement les puzzles, tandis que seulement 50 % des enfants récompensés et surveillés l’ont refait.

 3. On peut avancer que la combinaison de plusieurs contraintes, prix, approbations, surveillance, etc.  est telle que ceux-ci vont totalement supprimer la motivation intrinsèque.

 

4. De même, l’imposition d’un temps limite à des élèves et étudiants pour la résolution détermine dans une phase postérieure une baisse de la motivation intrinsèque. 

 

         Et la compétition ? L’émulation ? 

 

         La compétition est si inhérente aux activités sociales, notamment à l’école et dans le sport, qu’elle en acquiert un statut presque unique. La compétition a des effets variés sur la performance.

         D’une part, elle augmente la performance, et la psychologie sociale expérimentale est même née d’une célèbre expérience comparant la vitesse sur vélo d’appartement. Les individus placés en compétition allaient plus vite que les individus isolés. De même, dans une classe où l’on stimule les élèves dans une activité de calcul (vitesse d’effectuer des additions mentales) en faisant lever le doigt à ceux qui réussissent, afin que toute la classe les voit, et en écrivant leurs noms au tableau.  Le groupe en compétition réussit mieux en moyenne que le groupe où les élèves travaillent individuellement.

         D’autre part, la compétition ou la rivalité peut amener des disputes, de l’agressivité et, par voie de conséquence, de chutes de performances. Les expressions de la vie courante et du sport laissent penser que la compétition est liée à la motivation intrinsèque. Deci et ses collègues montrent bien que la compétition est bien intrinsèque chez des étudiants dans une activité ludique.

         Dans une première phase, les étudiants travaillent soit individuellement, soit en compétition avec un adversaire (en fait un complice de l’expérimentateur). Dans la phase test, le sujet est dans une pièce où on le fait attendre sous le prétexte d’aller chercher un questionnaire. En réalité, l’expérimentateur passe de l’autre côté du miroir sans tain et observe le sujet qui a devant lui des puzzles. 

         L’observation pendant une période 8 minutes indique que ceux qui étaient en situation de compétition passent moins de temps en moyenne dans cette activité libre que les autres. Ce temps passé dans cette activité libre étant censé mesurer la motivation intrinsèque, on constate que la compétition diminue cette motivation intrinsèque. La motivation de gagner un prix ou une victoire réduit ou inhibe l’attrait de l’activité pour elle-même.

 

         L’apprentissage du découragement

 

         Un courant de recherche a permis de faire une avancée importante dans ce domaine aux conséquences dramatiques. Tout commence par des expériences sous la direction de Martin Seligman, de l’université de Pennsylvanie. Dans l’une d’entre elles, trois groupes sont constitués avec des chiens qui, individuellement, sont attachés dans un harnais.

         Dans le premier groupe appelé « évitement », les chiens reçoivent 64 chocs électriques douloureux qui sont espacés (plus ou moins deux minutes). Si le chien appuie sur un panneau placé juste devant son museau durant le choc, alors ce dernier s’arrête, sinon il continue pendant 30 secondes.

         Vingt-quatre heures plus tard, les chiens sont mis dans une boîte à navette ; ce dispositif de la navette avait été inventé par d’autres chercheurs pour étudier le stress et il est couramment utilisé de nos jours chez les rat afin d’examiner l’effet de médicaments, par exemple anti-stress.  La navette est constituée de deux compartiments séparés par une barrière, un peu comme un court de tennis miniature. Mais là s’arrête la comparaison car un signal sonore retentit annonçant (10 secondes plus tard) l’arrivée d’un choc électrique dans le compartiment où se situe le chien. Dans ce dispositif, appelé aussi « conditionnement d’évitement », le chien est prévenu de sorte que s’il saute la barrière pour aller dans l’autre compartiment dès le signal, il évite le choc électrique ; sinon, 10 secondes après le signal il reçoit le choc électrique. 

         Un second groupe dit « contrôle » ne passe pas la période pré-expérimentale dans le harnais, mais seulement la deuxième dans la boîte à navette.

         Enfin le troisième groupe est tout à fait spécial puisqu’il reçoit un entraînement pré-expérimental dans le harnais, mais l’appui du museau sur le panneau ne permet pas d’arrêter le choc. Vingt-quatre heures plus tard, ce troisième groupe est mis dans la boîte à navette dans les mêmes conditions que les premier et deuxième groupes.

 

         RESULTAT :

 

         Les résultats sont percutants puisque l’on constate que si le temps passé dans le compartiment avec choc est d’environ 27 secondes dans le groupe « évitement » ou dans le groupe « contrôle », le troisième groupe met en moyenne près du double de temps pour s’échapper (48 secondes).

         Sachant que le choc arrive 10 secondes après le signal, plus de 75 % des chiens de ce troisième groupe n’arrivent pas à éviter au moins 9 chocs sur 10, tandis qu’aucun chien du groupe évitement  n’arrive jamais à une telle extrémité.

         Les chiens sont passifs, Seligman les appelle « résignés » : c’est le phénomène désormais célèbre de la « résignation apprise ».

 

         Sur un plan psychologique, la résignation arrive lorsque l’organisme (animal ou homme) ne perçoit plus de relation entre ce qu’il fait et les résultats de son action.

         Sur le plan neurobiologique et neurochimique, il semble que ce stress stimule les systèmes antidouleurs du cerveau avec la sécrétion de substances appelées « endorphines » parce qu’elles ressemblent chimiquement à la morphine, d’où les effets antidouleurs de ces dérivées de  l’opium, avec tous les phénomènes psychologiques qui leur sont associés, perte d’appétit, passivité, bref, perte de motivation.

Et chez l’homme ?

 

         Un équivalent astucieux permet d’observer en éliminant la douleur le même phénomène chez l’homme. La navette est remplacée par deux tables avec sur chacune un boîtier avec des boutons. Là aussi l’expérience porte sur trois groupes de sujets au cours de deux phases. Pour le groupe « évitable », il lui suffit d’appuyer sur un bouton pour empêcher le déclenchement d’un son stressant (110 décibels) alors que pour le groupe « inévitable », aucun bouton ne permet de le faire. Le groupe « contrôle » ne participe pas à la phase préliminaire. Dans la deuxième partie de l’expérience, tous les groupes doivent tenter à nouveau d’éviter un bruit très fort mais qui paraît cette fois-ci après un signal lumineux rouge. L’appui sur le bouton au cours de 18 essais d’apprentissage permet d’éviter le son stressant, mais encore faut-il que le sujet trouve le bon bouton et la bonne table.

         Alors que dans la deuxième phase, le son est devenu évitable, le groupe « inévitable » ne réussit pas à s’échapper dans 50 % des 18 essais. Le groupe « évitable » profite bien de la phase préliminaire puisqu’il évite le son dans 82 % des essais, de même que le groupe contrôle.

         C’est l’apprentissage du caractère d’inévitabilité qui génère ce comportement de résignation ; ainsi, malgré les 18 essais, un tiers de sujets du groupe « inévitable » n’atteignent pas le critère d’évitement contre seulement 8% pour les deux autres groupes.

 

         L’élément fondamental de cette découverte montre que la résignation n’est pas – comme on l’interprète souvent – un trait de caractère, encore moins la marque du destin, mais le résultat d’un apprentissage.

 

          Et par rapport à l’échec scolaire ?

 

         Stéphane Ehrlich et Agnès Florin ont démontré l’importance du phénomène dans l’échec scolaire.  Une observation avait montré que des élèves de 8 – 9 ans faisaient de plus en plus de fautes au cours du premier trimestre de la rentrée. Après analyse du type de dictées données par les instituteurs, les auteurs montrèrent que le phénomène était assez facile à expliquer : à la rentrée, les dictées étaient très simples, mais elles augmentaient progressivement en difficultés (grammaire, vocabulaire, etc.) de façon que les performances scolaires se dégradaient progressivement.

         Pour le démontrer expérimentalement, une série d’expériences furent réalisées, en français (lecture et questions de compréhension) et en mathématique (exercices d’arithmétique).

         A partir d’un objectif de base, correspondant à une performance moyenne antérieure des élèves, on augmentait la difficulté des séances de travail (espacées de quelques jours) de 25 %, 50 %, 100%.

         Trois types d’élèves ont été observés : Certains élèves ont sans cesse progressé, atteignant environ 70 % de la performance moyenne de départ. Cependant, ils ne correspondent qu’à un tiers de la classe. Un deuxième ensemble d’élèves se révèle être en baisse lors de la troisième séance, soit par rapport au niveau atteint lors de la deuxième séance, soit même par rapport à la première séance ; ce fait est d’autant plus inquiétant que ces deux derniers groupes correspondent aux deux tiers de la classe. Les seuls élèves en hausse étaient les plus forts, tous les élèves en baisse étaient très faibles.  Pour les auteurs, la demande excessive augmente les disparités entre les élèves.

 

         Les élèves ou les personnes résignées attribuent souvent leur échec aux causes externes (les profs sont mauvais ou injustes) et quelquefois à une cause interne je ne comprends pas cette matière).

         Si les disciplines scolaires étaient moins hiérarchisées, une attitude pédagogique d’encouragement consisterait à insister sur la spécificité de l’échec.  

                                            {à suivre…}   

               Max Kupelesa Ilunga. 


 

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